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AVICÉBRON

décrira sous le nom d’action de la Volonté, est plus ou moins affaiblir lorsqu’elle parvient à la Matière. Le Philosophe juif compare l’affaiblissement de cette action à celui de la lumière qui devient plus pâle et plus trouble au fur et à mesure qu’elle s’éloigne davantage de sa source, au fur et à mesure qu’elle a traversé des corps plus nombreux.

« La Volonté[1] est finie en ce qui concerne son action ; on s’approche donc fort de comprendre la vérité en disant qu’au sein la lumière qui s’écoule de la Volonté, il est des parties qui sont plus voisines de cette Volonté et d’autres qui en sont plus éloignées. La lumière qui émane de la Volonté a son commencement dans la Volonté et procède à partir d’elle ; le commencement de cette lumière est, plus que le reste, rapproché de la Volonté ; la partie, donc, de la lumière qui est plus voisine du point de départ ressemble davantage à la Volonté, et, au contraire, [celle qui en est plus éloignée lui ressemble moins]… Mais prends bien garde à ne pas croire qu’il s’agisse d’une proximité et d’une contiguïté corporelles ; cela te conduirait à l’erreur. Lorsqu’on parle d’une lumière proche de la Volonté, il te faut imaginer qu’elle est en rapport direct et sans intermédiaire avec la Volonté ; il te faut exprimer de même au sujet de la proximité d’une partie de la lumière à une autre. »

Entre cette doctrine et celle d’Avicenne et d’Al Gazâli, on peut établir divers rapprochements ; de part et d’autre, nous voyons une action s’exercer, qui a pour objet de donner aux diverses parties de la Matière l’aptitude de recevoir des formes différentes ; seulement, cette préparation de la Matière première, Avicenne et Al Gazâli l’attribuent à l’action des Intelligences célestes, tandis qu’Avicébron y voit l’œuvre de la lumière émise par la Volonté.

Une fois que cette préparation a conféré aux diverses parties de la Matière la capacité de recevoir des formes différentes, ces formes y sont imprimées. Cette opération émane de l’Intelligence active selon Avicenne et Al Gazâli, de l’intelligence universelle selon Avicébron ; mais celui-ci prend soin de nous avertir[2] que « les sages ont donné à l’Intelligence première le nom d’Intelligence active, » ce qui efface toute distinction entre son opinion et celle des philosophes arabes.

En revanche, une différence profonde subsiste entre eux. Ce qui doit être, par les Intelligences célestes, préparé à recevoir les for-

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. IV, cap. 19. p. 253.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 19. p. 294.