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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT


C. Les processions célestes. L’origine de la multiplicité dans le Monde


La Somme d’Alexandre de Hales connaît peut-être les Commentaires d’Averroès mais elle est, à coup sûr, parfaitement exempte de l’hérésie averroïste que Guillaume d’Auvergne dénonçait avec tant de clarté et condamnait avec tant de rigueur. Cette Somme ne fait, d’ailleurs, aucune allusion aux théories néo-platoniciennes qui attribuaient à l’intelligence active le dernier rang parmi les Intelligences émanées de Dieu.

Cependant, cette doctrine des processions célestes, si bien connue de Guillaume d’Auvergne, n’est pas ignorée d’Alexandre ; il en donne même une critique que diverses raisons nous conseillent de rapporter ici.

Il s’agit, en la question de la Somme que nous allons lire, de justifier cette affirmation : Dieu a produit directement une multitude de créatures ; voici ce qu’Alexandre écrit à ce sujet[1] :

« Peut-être dira-t-on, comme l’ont dit certains philosophes, que du premier Principe, qui est vraiment un, ne procède immédiatement qu’un seul être ; mais plusieurs êtres en procèdent d’une manière médiate et successive. Le premier Principe a donc créé, tout d’abord, une Intelligence angélique ; or cette Intelligence angélique, se connaissant elle-même et connaissant celui par qui elle était, a connu la multitude ; en sorte que la multitude a été produite par l’intermédiaire de l’intelligence angélique.

» Mais cette opinion n’est pas conforme à la raison. Selon cette théorie, le premier Principe aurait, par l’intermédiaire de la créature, un pouvoir plus grand que par lui-même ; par l’intermédiaire de la créature, en effet, il pourrait produire des êtres multiples, tandis qu’il ne peut, par lui-même, produire qu’un seul être…

» En outre, si le pouvoir de produire des êtres multiples, et, par conséquent, la production de ces êtres multiples proviennent, d’une manière générale, de la connaissance de la multitude, ce pouvoir et cette production conviennent à l’intelligence divine mieux encore qu’à l’intelligence angélique, car l’intelligence divine se connaît elle-même et connaît ce qui vient d’elle-même, tandis que l’intelligence angélique se connaît elle-même et connaît Celui par qui elle est. En effet, celui qui connaît les choses qui existent par lui, sait

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. XI, membrum I.