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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’âme et l’intelligence active se trouve, en particulier, celui-ci : « Il y a des formes intelligibles plus nobles que celles qui se trouvent en l’intelligence raisonnable ; telles sont celles qui se trouvent dans les choses divines ; la partie raisonnable de l’intelligence ne saurait donc être apte à les comprendre, si ce n’est pas quelque chose qui lui soit extérieur ; et comme ce quelque chose, c’est l’intelligence active, il est nécessaire que cette intelligence soit séparée. »

À cette question, voici la réponse que donne la Somme. Cette réponse présente une particularité digne d’être notée ; elle distingue, en l’âme, une matière et une forme, fidèle, en cela, aux principes généraux qu’Alexandre de Hales tenait sans doute d’Avicébron, et que nous allons analyser dans un instant : « L’intelligence en puissance et l’intelligence en acte sont deux distinctions en l’âme raisonnable ; l’une d’elles, l’intelligence active, a rapport à la forme par laquelle l’âme est esprit ; l’autre, l’intelligence possible, a rapport à la matière de l’âme, matière par laquelle l’âme est un être en puissance à l’égard des choses connaissables qu’elle contient ; ces choses sont en sa partie inférieure et viennent principalement de l’âme sensitive.

» Il ne faut pas supposer que l’intelligence active soit, en substance, séparée de l’âme même comme la lumière sensible est séparée substantiellement de la faculté sensitive…

» On a objecté que certains intelligibles sont au-dessus de l’intelligence, en sorte que la connaissance en est nécessairement donnée par un agent supérieur à l’intelligence. Nous répondrons à cela que si l’intelligence active est dite en acte, ce n’est pas que, dès le principe, elle connaisse toutes les formes ; mais elle reçoit du premier Agent une illumination qui n’est pas, d’ailleurs, relative à toutes les formes, mais seulement à certaines d’entre elles ; une fois illuminée, l’intelligence active perfectionne de la même manière l’intelligence en puissance. »

L’intelligence active n’est pas la seule partie de l’âme qui soit séparable du corps ; l’intelligence en puissance partage avec elle ce privilège. « Comme nous l’avons dit plus haut, il y a, dans l’intelligence, une triple distinction[1] ; l’intelligence matérielle appartient à l’âme en tant que celle-ci est l’acte de l’homme en son corps ; l’intelligence en puissance lui appartient en tant qu’elle est séparable du corps ; enfin l’intelligence en acte appartient à l’âme en tant qu’elle est déjà comme séparée du corps. »

  1. Alexandri de Ales Quæst. cit., membrum IV, art. II.