Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Ajoutons que, tout comme Guillaume d’Auvergne, Alexandre de Hales met le Livre des causes au compte d’Aristote[1].

Il n’y a guère de remarques intéressantes à faire au sujet des passages où Aristote est formellement cité par Alexandre de Hales, Une observation mérite cependant d’être signalée ; très souvent, au cours de la Somme, Aristote est désigné par ce seul titre : Philosophus, le Philosophe, qu’on chercherait vainement, croyons-nous, dans toute l’œuvre de Guillaume d’Auvergne, et qui va devenir, désormais, l’appellation courante du Stagirite. Jusqu’alors, pour la Scolastique latine, le philosophe par excellence était, sans conteste, Platon. Le sceptre de la Philosophie vient de changer de main.

Alexandre a-t-il connu Averroès ? La réponse qu’il convient de donner à cette question dépend de la traduction qu’il faut attribuer au passage suivant[2] : « Ille intellectus materialis de quo loquitur commentator… » Faut-il rendre le mot : commentator par : un commentateur, qui est assurément plausible, car tous les commentateurs, depuis Alexandre d’Aphrodisias, ont parlé de l’intellect matériel, et l’exposé de la Somme rappelle fort ce que l’un d’entre eux, Avicenne, en a dit ? Faut-il, au contraire, traduire ce mot par : le Commentateur ? Ce dernier parti devrait être sûrement adopté si le texte qui nous occupe était un peu plus récent ; le prendre, c’est admettre que les rédacteurs de la Somme ont non seulement connu Averroès, mais encore qu’ils lui ont donné le titre de Commentateur comme ils ont donné à Aristote celui de Philosophus ; après eux, ces deux titres, qui consacraient l’autorité d’Aristote et la confiance accordée à son interprète Averroès, devinrent d’usage courant,


B. La théorie de l’intelligence humaine


Si les rédacteurs de la Somme ont lu ce qui se trouve, touchant l’intelligence humaine, aux Commentaires d’Averroès, ils n’en ont point entièrement accepté l’influence. Après avoir rapporté les opinions émises à ce sujet par les Pères de l’Église, ils leur veulent comparer celle du « Philosophe ». « Le Philosophe, disent-ils[3], distingue l’intelligence materielle, qui connaît les espèces à


    ouvrage. L’opinion la plus vraisemblable demeure celle qui y voit des allusions à la Téologie d’Aristote.

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars I, quæst. XII, membrum IX, art. III.
  2. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. LXIX, membrum III, art. II.
  3. Alexandri de Ales Quæst. cit., proœmium.