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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

Le traité d’Aristote qui est le plus volontiers cité, c’est la Métaphysique ; les rédacteurs de la Somme paraissent avoir, de ce traité, une connaissance plus complète que celle dont Guillaume d’Auvergne avait dû se contenter ; Guillaume, nous l’avons dit, ne connaissait probablement que les dix premiers livres ; la Somme d’Alexandre contient ce passage[1] : « Lorsque le Philosophe, à la fin de la Philosophie première, et de même Avicenne, dans sa Philosophie, réprouvent les idées, ils veulent parler des formes mathématiques… » Ce passage montre qu’on possédait alors la Métaphysique d’Aristote en sa totalité[2].

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II. quæstio III, membrum I.
  2. À plusieurs reprises, Saint Thomas d’Aquin parle d’un ouvrage en quatorze livres qu’Aristote aurait composé sur les substances séparées, et dont il aurait vu le texte non encore traduit. Voici les divers passages où se trouvent ces allusions : « Hujusmodi autem quæstiones certissime colligi potest Aristotelem solvisse in his libris quos patet cum scripsisse de substantiis separatis, ex his quæ digit in principio XIIi Metaphysicæ ; quos etiam libros vidimus numero XIV, licet nondum translatos in linguas nostram. » (De unitate intellectus, cap. III).

    « Quomodo autem hæc Aristoteles solveret, a nobis sciri non potest, quia illam partem Metaphysicæ non habemus, quam fecit de substantiis separatis. » (Ibid., cap. VII).

    « Unde hæc quæstio pertinet ad Metaphysicam ; non tamen invenitur ab Aristotele soluta, quia complementum hujus scientiæ nondum ad nos pervenit, vel quia nondum est totus liber translatus, vel quia forte præoccupatus morte non completvit. » (De anima, lib. III, lect. XII).

    L’un des traducteurs de la Théologie d’Aristote, Pietro Nicolò Castellani, n’avait pas hésité à penser que ce complément de la Métaphysique, divisé en quatorze livres, dont Saint Thomas avait eu le texte sous les yeux, n’était autre que l’apocryphe qu’il avait contribué à mettre en latin (Sapientissimi Philosophi Aristotelis Stagiritae. Theologia sive mistica Phylosophia Secundum Ægyptos… Romæ, 1519 ; fol sign. Bii, recto).

    Cette supposition avait été, semble-t-il, admise d’une manière entièrement générale lorsque le R. P. Mandonnet est venu en proposer une autre. « À cette occasion, dit-il, Thomas nous fournit un précieux renseignement, car il nous apprend que les derniers livres de la Métaphysique, qui traitent justement des substances séparées, n’étaient pas encore traduits. Il en connaît cependant l’existence, ayant vu le texte grec qui contient quatorze livres, dont le douzième commence à traiter des substances séparées » (Siger de Brabant, Première partie, étude critique, p. 176).

    Mais cette supposition ne paraît guère admissible. Saint Thomas d’Aquin, au premier des textes que nous avons rapportés, cite le douzième livre de la Métaphysique, dont il a, d’ailleurs, commenté les douze premiers livres. Il faudrait donc admettre que la Métaphysique était alors divisée en quatorze livres et que les deux derniers seuls n’étaient pas traduits. Or Saint Thomas parle, dans ce premier texte, non pas de deux livres, mais de quatorze livres non encore traduits.

    D’autre part, nous venons de voir que les rédacteurs de la Somme mise au compte d’Alexandre de Hales mentionnent une question dont le Philosophe traite « in fine Philosophiœ primœ. » Cette question est, en effet, l’objet du troisième des cinq chapitres qui forment, aujourd’hui, le XIIIe et dernier livre de la Métaphysique.

    Enfin, Albert le Grand a donné une exposition complète de la Métaphysique, et il l’a divisée en treize livres qui correspondent aux treize livres d’Aristote.

    Il est donc certain que Saint Thomas d’Aquin a connu en son entier la Métaphysique d’Aristote et que les passages rapportés ci-dessus n’ont pas trait à cet