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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

noms qu’on y rencontre habituellement sont ceux des Pères de l’Église, jusqu’à Saint Anselme et à Saint Bernard, celui de Denys, le nom de Boëce, qui figure dès la seconde ligne et qui se trouve invoqué à chaque instant, enfin les noms de Pierre Lombard, de Gilbert de la Porrée, d’Hugues et de Richard de Saint-Victor.

Cette Somme primitive est-elle l’œuvre personnelle d’Alexandre de Hales ? A-t-elle été plus ou moins grossie par des compilations, modifiée par des remaniements ? Peu importe. Si elle est œuvre collective, elle n’en est, pour nous, que plus intéressante ; elle résume d’autant mieux l’ensemble des opinions qui avaient cours parmi les Franciscains au milieu desquels Alexandre vécut ses dernières années. L’auteur ou les auteurs sont de ceux qui ont respecté l’anathème porté par le concile de Paris contre les traités de Physique et de Métaphysique écrits par Aristote ou par les Arabes ; leur travail ne porte presque aucune marqué des doctrines que ces écrits contenaient. Qu’on parcoure les questions consacrées à la science ou à la providence de Dieu ; on n’y trouvera rien qui s’inspire des enseignements si reconnaissables qu’Avicenne, qu’Al Gazâli avaient donnés sur ces questions.

Lorsque les maîtres de Paris commencèrent à s’engouer de la Métaphysique « d’Aristote et de ceux de sa suite », un tel traité dut sembler mal propre à les satisfaire ; peut-être fallut-il alors soumettre la Somme d’Alexandre à l’opération qui sert à rajeunir un livre devenu vieillot ; peut-être fallut-il y ajouter quelques développements au goût du jour, quelques passages où l’on traitait sommairement des doctrines récemment traduites. Ces additions, peu nombreuses d’ailleurs, tiennent au reste de l’ouvrage par un lien qui, la plupart du temps, est fort lâche ; parfois, comme nous avons eu occasion de le noter en étudiant les théories astronomiques d’Alexandre de Hales[1], elles présentent, avec les parties plus anciennes sur lesquelles elles ont été appliquées, un contraste très apparent.

Alexandre ou les auteurs de ces additions ne semblent connaître qu’un fort petit nombre de livres d’origine gréco-arabe. Hors ceux qu’ils attribuent à Aristote, le seul de ces livres dont nous ayons relevé la citation au cours de la Somme, c’est la Métaphysique d’Avicenne[2]. Nous n’y avons pas découvert le nom d’Al Gazâli, encore que l’influence de ce philosophe se laisse, parfois, reconnaître.

  1. Voir : Seconde partie, ch. VII, § II ; t. III, p. 401.
  2. Voir, en particulier, Alexandri de Ales Summa theologica, Pars I, Quæst. XIII, Membrum III.