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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

nonçaient, en même temps, cette même formule : « Citra Primum quicquid est, est ex quo est et quod est », ils attribuaient aux deux locutions quo est et quod est des sens très différents et presque opposés. On conçoit que de pareils procédés permissent aux Scolastiques d’invoquer une même autorité les uns en faveur d’une thèse et les autres à l’encontre de cette thèse.

Il s’est trouvé, d’ailleurs, après la mort de Saint Thomas d’Aquin et de Saint Bonaventure, un maître assez avisé pour démêler le quiproquo dont notre axiome avait été l’occasion ; ce maître est le Franciscain Richard de Middleton.

En faveur de la thèse qui compose l’âme humaine de forme et de matière, Richard rencontrait cet argument[1] ; « En toute créature qui subsiste par elle-même, le quod est diffère du quo est ; mais quo est, c’est la forme, et quod est paraît être la matière. »

À quoi notre auteur répondait :

« Celui qui veut tenir pour l’opinion contraire peut riposter que le quod est de l’âme, c’est l’essence concrète accompagnée de ses propriétés naturelles, et que le quo est, c’en est l’essence considérée d’une manière absolue. Ou bien on peut dire, selon d’autres personnes, que le quod est c’est l’essence (essentia) de l’âme telle qu’elle existe par elle-même et que le quo est de l’âme, c’en est l’existence (esse).  »

La première réponse eut été faite par Saint Bonaventure et la seconde par Guillaume d’Auvergne et par Saint Thomas.

Ces remarques nous donnent un avant-goût du désordre que mettra, dans les discussions scolastiques, l’emploi de termes insuffisamment définis.

Les maîtres de l’École sont soumis aux influences divergentes de philosophies très diverses, du Péripatétisme d’Aristote, du Néoplatonisme hellène du Livre des Causes, du Néo-platonisme arabe d’Avicenne et d’Al Gazâli. Ces philosophies, ils n’en démêlent pas très exactement les tendances contradictoires ; ils pensent, sous des variations superficielles, y reconnaître une doctrine homogène et unique, la doctrine d’Aristote et de ses disciples. Aristotelis et ejus sequacium.

Les ouvrages de ces diverses sectes ne sont connus des Scolastiques que par leurs traductions latines ; dans ces traductions d’ouvrages péripatéticiens ou néo-platoniciens, grecs ou arabes, il

  1. Clarissimi Theologi Magistri Ricardi de Media Villa Super quatuor libros Sententiarum Petri Lombardi Quæstiones subtilissimœ. Brixiæ. MDXCI. Tomus II, p. 213, col. b et p. 214, col. a. Lib. II, Dist. XVII, art. I, quæst. I : Utrum anima Adæ fuit producta ex aliqua materia.