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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

quiddité, nature ou forme simple, car sa quiddité n’est pas composée d’éléments divers ; mais ou y trouve la composition qui résulte de ces deux choses ; La quiddité et l’existence. »

Lors même qu’Avicenne n’eût pas été cité au cours de l’article que nous venons d’analyser, son influence n’eût point été méconnaissable. C’est sa doctrine même qui vient d’être exposée.

Comment et pourquoi Saint Thomas en est venu à substituer cette doctrine à celle de Boëce et de Thémistius, il est aisé de le deviner.

S’il n’avait été question que de substances composées de matière et de forme, le Doctor communis s’en fût volontiers tenu à l’opinion de Thémistius et de Boëce, qui est plus étroitement apparentée au Péripatétisme.

Ce qui l’empêchait de demeurer Péripatéticien jusqu’au bout, c’est qu’il voulait traiter de substances qui fussent exemptes de matière et qui, cependant, ne fussent pas des dieux. Or pour le Péripatétisme, être exempt de matière, c’est n’être en puissance d’aucune manière, c’est être acte pur, partant immuable, éternel et nécessaire ; c’est être Dieu.

Pour que des substances purement spirituelles puissent ne pas être des dieux, mais seulement des créatures, il faut rejeter les notions mêmes de matière et d’existence en puissance telles que les conçoit le Péripatétisme ; à la dualité de l’existence en puissance et de l’existence en acte, de la matière et de la forme, il faut, avec Avicenne, substituer la dualité de la contingence et de la nécessité, de l’essence et de l’existence. C’est ce que fait Saint Thomas d’Aquin ; mais la ressemblance du mot possibilité par lequel Avicenne désigne la contingence et du mot puissance employé par le Péripatétisme dissimule cette substitution d’une doctrine à une autre doctrine essentiellement différente.

Désormais, lorsque Thomas d’Aquin distinguera entre le quod est et le quo est, il identifiera cette distinction avec celle de l’essence et de l’existence.

« L’ange, dit-il en la Somme théologique[1] est composé de quo est et de quod est ou bien, selon le mot de Boëce, d’esse et de quod est. » Puis il ajoute : « Quod est, c’est la forme subsistante prise en elle-même ; quand à l’esse même, c’est ce par quoi (quo) la substance existe (est), de même que courir, c’est ce par quoi (quo) le coureur court. » Il est clair que Saint Thomas fait corres-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologie, pars prima, quæst. L, art. II ; Utrum angelus sit compositus ex materia et forma.