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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

regarder comme équivalente à l’opposition du quo est et du quod est.

Cette transformation dut s’accomplir de bonne heure dans l’esprit de Saint Thomas d’Aquin ; elle était achevée lorsqu’il rédigeait son commentaire sur le premier livre des Sentences. Voici un court passage où la nouvelle doctrine s’affirme avec une entière netteté[1] :

« De Dieu seul, il est vrai de dire que son existence est sa quiddité. Partant, en toute créature, soit corporelle, soit spirituelle, se trouvent, d’une part, sa quiddité ou nature et, d’autre part, son existence qu’elle tient de Dieu, dont l’essence est la propre existence ; elle est donc composée d’existence ou quo est, et de quod est. — Cnm in solo Deo esse suum sit sua quidditas, oportet quod in qualihet creatura, vel incorporali, vel in spirituali, inveniatur quidditas vel natura sua et esse sum, quod est siti acquisito a Deo, cujus essentia est suum esse ; et ita componitore ex esse vel quo est, et quod est. »

Cette thèse va se détailler, mais, parfois, s’embrouiller, dans le second article de la même question, alors que Saint Thomas d’Aquin examinera si l’âme est simple. Après avoir rejeté l’opinion de ceux qui la veulent composer de matière et déformé, il écrira[2] :

« D’autres disent que l’âme est composée de quo est et de quod est.

» Le quod est est différent de la matière, car il désigne le sujet qui possède l’existence (suppositum habens esse) ; or ce n’est pas la matière qui possède l’existence, mais le composé de la matière et de la forme[3].

» Ainsi, tout être compose de matière et de forme, est aussi composé de quo est et de quod est.

» Dans les composés de matière et de forme, le quo est peut être dit dans trois sens différents. On peut dire que c’est la forme qui donne l’existence à la matière. On peut dire que c’est l’acte même d’exister, qui est l’existence (actus essendi, scilicet esse) ; ainsi ce par quoi on court (quo curritur), c’est l’acte de

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptum in primum librum Sententiarum, dist. VIII, quæst. V, art. I : Utrum aliqua creatura sit simplex,
  2. Saint Thomas d’Aquin, quæst. cit. art. II : Utrum anima sit simplex.
  3. Parmi les opuscules attribués à Saint Thomas d’Aquin, un en trouve un qui est intitulé : De quo est et quod est. Il reproduit simplement le passage du Commentaire aux Sentences que nous analysons à partir d’ici.

    (a) P. Mandonnet, O. P., Les écrits authentiques de Saint Thomas d’Aquin (Revue Thomiste, 1909-1910, p. 130 du tirage à part).