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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

substance simple, il vient de nous le dire, il n’y aura pas de distinction réelle entre l’esse et le id quod est. Mais qu’allons-nous entendre par substance simple ? Sera-ce une substance où il n’y a pas, à la fois, matière et forme ? Une forme pure, une intelligence dépouillée de matière sera-t-elle donc telle que l’esse s’identifie en elle avec le id quod est ? Notre auteur ne l’accordera pas : « Toute forme, dit-il, a la propriété de déterminer l’être ; aucune d’elles n’est donc l’être ; elle est une chose qui possède l’être. Quadibet forma est déterminatica ipsius esse ; nulla eorum est ipsum esse, sed est habens esse. »

Chacune de ces formes, en effet, est déterminée de telle façon qu’elle soit de telle espèce et non de telle autre, qu’elle se distingue de toute autre forme dépourvue de matière ; elle n’est donc pas vraiment simple ; en elle, un principe de détermination, de distinction s’adjoint à l’être pour le multiplier, pour le diversifier.

« Cela seul est vraiment simple qui ne participe pas à l’être, qui n’est pas inhérent à l’être, mais qui est l’être même subsistant ; et cela ne peut être qu’unique ; l’être même, en effet, ne peut, nous l’avons dit, être mélangé à quelque chose d’autre que ce qui est son être ; il est donc impossible qu’il soit multiplié par quelque principe capable d’y introduire la diversité… Cet être simple, unique et sublime, c’est Dieu. »

Le Néo-platonisme vient de se glisser dans l’analyse de la pensée de Boëce ; s’il y a pénétré, c’est afin d’éviter que, des intelligences dépourvues de matière mais inférieures à Dieu, on fasse des substances absolument simples où l’esse et le id quod est s’identifieraient ; ce privilège, il le faut réserver à Dieu seul.

Pour Boëce comme, jusqu’ici, pour son commentateur, l’esse signifiait l’existence, prise d’une façon abstraite et générale, non d’une façon concrète et particulière ; mais il signifiait en même temps l’essence, qu’on ne distinguait pas de l’existence ; il désignait la forme substantielle qui constitue l’essence et qui est, en même temps, le principe de l’existence en acte. Maintenant, dans le commentaire de Saint Thomas, tout cela change ; pour une intelligence, l’esse devient l’existence qu’elle tient de l’Être suprême, tandis que le id quod est, c’est la forme par laquelle cette intelligence est spécifiquement distincte de toute autre intelligence, par laquelle elle est de telle espèce et non point de telle autre, c’est-à-dire l’essence ou quiddité d’Avicenne.

Cette transformation apportée à la pensée de Boëce va, d’ailleurs, se faire à la faveur d’un changement de dénomination ; l’opposition de l’esse et du id quod est, Thomas d’Aquin va la