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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

féré par une forme accidentelle. Thomas d’Aquin va nous l’apprendre :

« Puisque l’objet qui existe (id quod est) peut avoir quelque chose en sus de son essence (essentia), il est nécessaire, en cet objet, de distinguer un être double (duplex esse) ; la forme, en effet, est le principe de l’existence (principium essendi) ; donc à chaque forme possédée par l’objet, il nous faut dire qu’il correspond une certaine existence. Partant, si cette forme n’est pas étrangère à l’essence de l’objet qui la possède, si elle constitue cette essence, par la même que l’objet possède cette forme, on dira qu’il possède l’être purement et simplement (Si ergo forma villa non sit præter essentiam habentis, sed constituerit ejus essentiam, ex eo quod habet talem formam, dicetur habens esse simpliciter). Ainsi en est-il de l’homme par le fait qu’il possède une âme rationnelle. Mais si cette forme est étrangère à l’essence de l’objet qui la possède, on ne dit plus de cet objet qu’il est, en vertu de cette forme, purement et simplement (esse simpliciter) ; on dit qu’il est ceci ou cela (esse aliquid)…

» Lorsqu’on dit d’une chose qu’elle est ceci ou cela, et non pas simplement qu’elle est, on désigne un accident. »

Dans tout ce que nous venons de lire, l’existence (esse), le principe de l’existence actuelle (principium actualité essendi), l’essence (essentia) et la forme substantielle (forma) sont constamment regardés comme des expressions équivalentes d’une même notion. Cette notion s’oppose à celle de la chose qui existe (id quod est) à la façon dont l’abstrait s’oppose au concret. C’est bien, croyons-nous, ce qu’entendait Boëce. De la distinction entre l’essence et l’existence, à laquelle Thomas d’Aquin attachera, plus tard, tant d’importance, nous ne trouvons encore aucune trace.

Jusqu’ici, il est vrai, c’est de distinctions conceptuelles, non de distinctions réelles que nous avons discouru. À ces distinctions réelles, nous allons maintenant arriver.

« De même que, dans les objets simples, il y a une différence conceptuelle (secundum intentiones) entre l’être (esse) et la chose qui existe (id quod est), de même, dans les objets composés, il y a une différence réelle (differunt realiter). » Quelle raison Thomas en donne-t-il ? Celle-ci qu’en de tels composés, il y a substance et accident, en sorte qu’ « autre chose est le composé, autre chose ce qui en constitue l’être. »

Dans ce qui précède, Saint Thomas d’Aquin s’est montré interprète très fidèle de la pensée de Boëce ; mais voici que des scrupules naissent en lui, qui sont d’un disciple d’Avicenne. Dans une