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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

Dans la formule modifiée, c’est l’id quod est qui désigne l’essence au sens de la doctrine d’Avicenne, tandis que l’id quo est désigne l’existence telle que la conçoit cette même doctrine.

On voit que le rôle même des termes a été, pour ainsi dire, interverti.

Il y avait là de quoi fort embarrasser les Scolastiques qui lisaient la Philosophia Algazelis et le De Universo de Guillaume d’Auvergne en même temps que le De Trinitate de Boëce et les Commentaires de Gilbert de la Porrée ; cet embarras paraît avoir engendré, vers le milieu du xiiie siècle, une extrême confusion ; c’est ce que nous apprend l’écrit de Saint Thomas d’Aquin sur le premier livre des Sentences.

Cet écrit fut sans doute composé[1] lorsque Thomas d’Aquin venait de conquérir le baccalauréat en Théologie, c’est-à-dire vers 1253 ou 1254. Une question de ce commentaire[2] est consacrée à discuter le sens précis qu’il convient d’attribuer à ces quatre mots : essentia, subsistentia, substantia, persona, auxquels Thomas fait correspondre les termes grecs : οὐσία, οὐσίωσις, ὑπόστασις, πρόσωπον. Nous voyons qu’en cette discussion, tous les docteurs s’accordaient à introduire la distinction du quo est et du id quod est ; mais l’accord se changeait en cacophonie lorsqu’il s’agissait de savoir, parmi les quatre notions d’essence, de subsistance, de substance et de personne, quelle se doit ranger sous le vocable quo est et quelle se place sous la rubrique quod est : les diverses solutions proposées ne se rapprochaient qu’en un point ; elles regardaient toutes la personne comme étant une notion impliquée dans le quod est et, par là, elles inclinaient assurément dans le sens de Boëce et de Gilbert de la Porrée. « Chacun des trois noms autres que le nom de personne, se trouve, dit Thomas d’Aquin, tantôt mis pour quo est et, tantôt, pour quod est ; aussi n’y a t-il pas entre leurs significations de distinction essentielle. »

On continuait, d’ailleurs, à mettre au compte de Boëce cette distinction en quo est et quod est, car on invoquait en ces termes[3] l’autorité du Philosophe latin : « Boëce dit : En Dieu, le quo est est la même chose que le quod est ; or l’essence est désignée par quo est et la personne par quod est. »

Dans ce désordre, Saint Thomas d’Aquin va choisir une position nettement définie à laquelle il se tiendra constamment. Mais, sous

  1. Quétif et Échard, Scriptores ordinis Prœdicatorum, t. ii, p. 273, col. b.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptum in primum librum Sententiarum, Dist. XXIII, quæst. I, art. I.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. I, dist. XXXIV, quæst. I, art. I.