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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

Si l’on considère l’existence (esse) d’une créature, on y distingue en vérité deux existences, l’existence qui réside dans la créature (in quo) et l’existence en vertu de laquelle cette créature est (a quo), cette dernière n’est autre que l’existence divine.

« Lorsqu’on dit : Socrate est, on pose deux existences (esse), savoir l’existence créée qui est en Socrate, et l’existence incréée. L’existence créée est affirmée de Socrate en tant que celui-ci est le sujet dans lequel elle réside (ut in quo) ; mais l’existence incréée est posée comme ce par quoi Socrate existe (ut a quo)… Voici, en effet, ce qu’on est tenu d’accorder : Lorsqu’on dit : Socrate existe, il en résulte ou bien que l’existence de Socrate est par elle-même, ou bien qu’elle est par un autre ; de cette manière, ou bien on continuera indéfiniment, ou bien on arrivera à une existence qui est par elle-même ; mais on ne saurait procéder à l’infini ; il faut donc admettre que l’existence de Socrate est par cette existence qui est par elle-même. Partant, lorsque l’existence d’une chose quelconque est conçue dans cette chose, il est évident qu’en toute existence créée se trouve conçue l’existence divine. Ainsi, lorsqu’on dit d’une créature quelconque qu’elle existe, on pose deux existences, l’existence créée qui est dans la créature, et l’existence divine, en tant, qu’elle est ce par quoi cette première existence est. — Et ideo cum dicitur quælibet creatura est, sic ponitur duplex esse, scilicet esse creatum quod est in creatura, et esse divinum ut a quo est illud esse. »

Le reflet de la pensée d’Avicenne et d’Al Gazâli est bien reconnaissable dans ce passage de Guillaume d’Auxerre ; mais cette pensée n’a pas été complètement saisie par le maître parisien ; la dualité que celui-ci distingue en toute créature, ce n’est pas celle d’une essence qui appartient à la créature et d’une existence qui réside en cette créature, encore qu’elle la tienne d’ailleurs ; ce qu’il discerne, c’est une existence créée qui réside dans la créature, et l’existence incréée de Dieu, dont provient l’existence créée. Nous trouvons ici, semble-t-il, une sorte de mélange de la pensée d’Avicenne et de celle de Jean Scot Érigène. Guillaume n’en a pas moins introduit, dans la dualité dont tous les théologiens, depuis Boëce, font l’apanage de la créature, un terme que désignent les mots a quo est, et qui est ce par quoi la créature existe. Supprimant la préposition, on dira simplement : quo est, mais à ces mots, on gardera le sens de : par quoi ; dans l’axiome de Boëce, on les substituera au mot esse, et l’on dira : Citra Primum quicquid est, est ex quo est et quod est.

Dans la transformation que Guillaume d’Auxerre a fait subir à