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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

avait pratiquée en tout être causé, celle de la possibilité que cet être a par essence (quod est), et de la nécessité que lui confère l’agent dont il tient l’existence, c’est-à-dire ce par quoi il est (quo est). Ainsi la pensée d’Avicenne et d’Al Gazâli se trouvait très exactement exprimée par cette formule : Citra Primum quicquid est, est ex quo est et quod est. La substitution, dans l’énoncé de Boëce, des mots quo est au mot esse livrait passage à l’influence exercée par le Néo-platonisme arabe sur la théorie de la distinction entre l’essence et l’existence. En même temps, l’axiome transformé reprenait, mais avec plus de précision, le sens que Saint Hilaire lui donnait.

Le premier auteur qui nous laisse soupçonner cette influence exercée par la philosophie d’Avicenne sur le sens de l’expression quo est, c’est Guillaume d’Auxerre.

Guillaume d’Auxerre avait été député par l’Université de Paris auprès du pape Grégoire IX pour obtenir la levée de l’interdiction portée en 1210, renouvelée en 1215, contre l’étude des écrits d’Aristote ; ces démarches avaient abouti à l’ordonnance du 23 avril 1231, par laquelle Grégoire IX chargeait trois maîtres parisiens, Guillaume d’Auxerre, Simon d’Authie et Étienne de Provins, de réviser les livres d’Aristote et de les expurger dans un sens conforme à la foi.

Guillaume d’Auxerre nous a laissé une Somme sur les Sentences, où l’influence d’Aristote se perçoit à peine ; les mots de matière et de forme, par exemple, ne se rencontrent qu’au chapitre où il est parlé de la création du Monde, et tout ce qui s’en peut lire dans ce chapitre est emprunté à Saint Augustin. Plus aisément, l’influence d’Avicenne et d’Al Gazâli se peut reconnaître, encore que la pensée de ces auteurs ne soit pas toujours saisie avec une entière pénétration ; ainsi en est-il au passage que nous allons citer[1].

  1. Summa aurea in quatuor libros sententiarum : a subtilissimo doctore Magistro Guillermo altissiodorensi edita, quam nuper a mendis quamplurimis doctissimus sacre theologie professor magister Guillermus de quercu diligenti admodum castigatione emendavit ac tabulam huic pernecessariam edidit. Impressa est Parisijs maxima Philippi Pigoucheti cura, impensis vero Nicolai vaultier et Durandi gelier alme universitatis Parisiensis librariorum iuratorum. — Venalis autem reperietur vico cithare ad ratorum intersigne : atque mathurinorum vico ad domum cui pendet signum de lestrille faulx veau. — Colophon : Explicit summa aurea in quatuor libros sententiarum : a subtilissimo doctore magistro Guillermo altissiodorensi edita ; impressa parisijs impensis Nicolai vaultier et Duranti gelier : alme universitatis parisiensis librariorum. Anno domini millesimo quingentesimo die tertia mensis Aprilis ante pascha. — Lib. III, tract. II, quæst. X ; De bono quod est virtus ; fol. CXXV, col. d.