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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

l’être, c’est-à-dire la chose qui existe ou subsiste. — Quemadmodum enim sese habent ad invicem lux et lucere et lucens, sic sunt adinvicem essentia, esse et ens, hoc est existens site subsistens. — Partant, l’essence au suprême degré, le fait d’exister au suprême degré, enfin l’être au suprême degré, c’est-à-dire ce qui est existant au suprême degré ou subsistant au suprême degré, ne se comporteront pas entre eux d’autre façon que la lumière, le fait de luire et ce qui luit. — Ergo somma essentia et summe esse et summe ens, id est summe existens sive summe subsistens, non dissimiliter sibi convenient quam lux et lucere et lucens. »

Ce texte montre avec la plus grande clarté ce que Saint Anselme entend par essence (essentia) ; c’est ce qui fait exister ( esse) un être (ens), une chose existante ou subsistante (existens vel subsistens). De même, la lumière est le principe dont le corps luisant tient la propriété de luire.

D’autre part, d’un chapitre du Proslogion[1], on peut conclure que l’Archevêque de Cantorbery mettait, entre l’esse et le quod est une distinction semblable à celle que Gilbert de la Porrée attribue à « certains théologiens. »

« Toi seul, Seigneur, dit Saint Anselme, tu es ce que tu es (es quod es) et tu es qui tu es (es qui es). En effet, toute chose qui n’est pas la même dans son ensemble et dans ses parties, toute chose qui est de quelque manière sujette au changement, n’est pas absolument ce qu’elle est (non omnino est quod est). Toute chose qui a commencé par ne pas être, qu’on peut concevoir comme n’étant pas, qui revient au non-être dès là qu’un autre principe ne la fait pas subsister, toute chose qui a un passé qui n’est plus et un futur qui n’est pas encore, cette chose n’est pas proprement et absolument. Mais, toi, tu es ce que tu es. »

Nous voyons par là qu’en tout être contingent, et changeant, l’Archevêque de Cantorbery veut qu’on distingue le quod est de l’esse ; malheureusement, il néglige de préciser le sens qu’il attribue à l’expression quod est ; d’après la signification que le Monologion donne au mot essentia, il semble que quod est se doive, au Proslogion, prendre comme le prenaient les théologiens dont nous a parlé Gilbert de la Porrée.

À côté de ces théologiens inspirés par Saint Anselme ou par le Livre des Causes, se trouvaient, nous dit également Gilbert, des philosophes qui regardaient les deux expressions esse et quod est comme entièrement synonymes. D’autres philosophes voulaient

  1. S. Anselmi Proslogion, cap. XXII.