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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

» Omni composito aliud est esse, aliud id quod est. »

Afin d’expliquer sa pensée, Boëce donnait des exemples[1] : Une substance colorée n’est pas même chose que la couleur par laquelle elle est colorée, une substance grave n’est pas même chose que la gravité par laquelle elle pèse. Joints à cette affirmation : En Dieu, l’esse et le quod est sont identiques parce que Dieu est forme pure, ces exemples mettent hors de doute cette conclusion : Le id quod est, c’est la chose concrète et réellement existante que produit l’union de la matière et de la forme ; l’esse, l’essence, c’est la forme commune à toutes les choses individuelles de même espèce, telle la gravité, forme spécifique commune à tous les corps graves. Boëce eût donc souscrit à cette affirmation de Thémistius : « L’essence aqueuse, c’est la forme de l’eau, τὸ δὲ ὕδατι εἶναι τὸ εἶδός ἐστι τοῦ ὕδατος. »

Cette identité de l’esse et de la forme, Boëce l’avait, d’ailleurs, affirmée avec insistance au second livre de son De Trinitate.

« La forme, avait-il dit[2], celle qui est vraiment, et non pas l’image, c’est l’esse même, et c’est par elle que l’esse est. Tout esse, en effet, provient de la forme. Si une statue est appelée l’effigie de quelque animal, ce n’est pas à cause du bronze qui en est la matière, mais en vertu de la forme qui est sculptée en elle. Le bronze n’est pas appelé bronze à cause de la terre qui en est la matière, mais à cause de la forme du bronze. La terre elle-même, et1 n’est pas en vertu de la Matière première (κατὰ τὴν ὕλην) qu’elle reçoit ce nom, c’est en vertu de ta sécheresse et de la pesanteur qui sont des formes. Bien donc n’est dit esse en vertu de la matière, mais bien en vertu de sa forme propre. »

Être de l’eau, avait dit Thémistius, c’est posséder la forme de l’eau ; être du bronze, répète Boëce, c’est posséder la forme du bronze. Les pensées de ces deux auteurs s’identifient. Lors donc que Boëce écrit Diversum est esse et id quod est, nous devons entendre : L’essence (esse), qui est la forme, ne se confond pas avec la chose concrète et réellement existante (id quod est).

Partant, si nous voulons traduire esse par essence, nous devons dire que Boëce, à l’imitation de Thémistius, identifie l’essence et la forme. C’est aussi ce que faisaient les premiers philosophes arabes.

« Employons, disait Abou Masar[3] la manière de parler qui est

  1. Boethi Opera, éd. cit., p. 1183.
  2. Boethi De Trinitate liber II (Boethi Opera, éd. cit., p. 1122).
  3. Introductorium in astronomiam Albumasaris abalachi octo continens libros partiales. Colophon : Opus introductorium in astronomiam Albumasaris abalachi explicit feliciter. Uenetijs : mandato et expensis Melchionis (sic) Sessa (sic) : Per Jacobum pentium Leucensem. Anno domini 1506. Die 5 Septembris.