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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

provient pas d’ailleurs [que de lui-même] ; il a en lui et ce qu’il est, et ce par quoi il subsiste. — Habens in se et quod ipse est, et ex quo ipse subsist. »

La pensée que Saint Hilaire exprime dans ces divers passages pourrait, semble-t-il, se formuler ainsi : La nature ou l’essence de Dieu est, en même temps, le principe de l’existence divine. La nature ou essence est représentée par les termes id quod est, quod ipse est ; le principe de l’existence est désigné par esse ou par ex quo subststit.

Que cette identité soit propre à Dieu et ne se retrouve pas dans les créatures, Hilaire l’admet certainement ; mais il n’a pas occasion de parler, pour les créatures, de la distinction entre l’id quod est et l’esse.

Il en sera parlé par Boëce ou par l’auteur, quel qu’il soit, du De Trinitate ; mais sous l’influence d’Aristote et de ses commentateurs, cet auteur va donner, aux termes id quod est et esse, des significations auxquelles Saint Hilaire ne songeait certainement pas.

Examinons donc de près la pensée de Boëce.

Cette pensée, en effet, se développe tout entière à partir du principe que formule la proposition suivante[1] : « Diversum est esse et id quod est. » Or quelle est cette distinction entre le id quod est et l’esse  ? La lecture du traité De Trinitate nous montre qu’elle est identique à celle que Thémistius avait établie[2] entre une certaine eau concrète (ὕδωρ) et la nature spécifique de l’eau (τὸ ὕδατι εἶναι). Pour Boëce, cette eau concrète, c’est le id quod est ; la nature spécifique de l’eau, l’essence aqueuse, c’est l’esse que les Grecs nomment οὐσία et Saint Augustin essentia. Sans peine, nous allons reconnaître cette entière similitude entre la pensée de Boëce et celle de Thémistius.

Dès le premier livre de son traité De la Trinité, Boëce avait posé ce principe[3] que Dieu est le seul être en qui l’essence soit identique à l’être concret, parce qu’il est forme pure et sans matière : « Divina substantia sine materia forma est, atque ideo unum, et est id quod est. Reliqua vero non sunt id quod sunt. »

Ce même principe, il l’avait, au troisième livre, repris en ces deux formules[4] :

« Omne simplex esse suum, et id quod est, unum habet.

  1. Boëce, loc. cit.
  2. Voir : Troisième partie, Ch. I, § VI ; t. IV pp. 395-396.
  3. Boethi Opera, éd. cit., p. 1122.
  4. Boethi Opera, éd. cit., p. 1182.