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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Vraisemblablement sous l’inspiration de Saint Augustin, Guillaume embrasse le premier parti, qu’il croit conforme à l’intention de Platon.

« Si Platon a voulu entendre que le Monde intelligible ou Monde des espèces est distinct du Créateur, il est nécessaire que ce Monde ait été créé ou fait par le Créateur. » De cette supposition, Guillaume tire des corollaires qu’il juge inadmissibles. « Non seulement c’est impossible de l’avis même de Platon, dit-il, mais, en outre, dans la première partie de cette Philosophie, je vous ai déjà déclaré cette vérité : En tout ouvrier doué de science et qui accomplit son œuvre par le moyen de la science qu’il possède, doit nécessairement exister le modèle (exemplar) de toutes les œuvres que sa science lui permet d’accomplir ; et, en lui, la science ou l’art en vertu duquel et à l’aide duquel il accomplit son œuvre et le modèle sur lequel ou à la ressemblance duquel il travaille sont une seule et même chose. »

Mais si le Monde archétype, « c’est le Créateur lui-même, il est nécessaire d’avouer que chacune des espèces ou idées est soit le Créateur, soit une partie du Créateur. Or, dans la première partie de cette Philosophie, nous avons déclaré que le Créateur n’était, d’aucune façon, divisible en parties distinctes. Il est donc nécessaire d’admettre que chacune des espèces ou idées, c’est le Créateur même. Partant, la terre véritable, considérée selon son concept (intentio), c’est, le Créateur ; il en est de même de l’eau véritable et de chacune des espèces. Il faut donc concéder que toutes les espèces, que tous les êtres intelligibles du Monde idéal sont, par essence et en vérité, un seul et même être, et que cet être est indivisible, qu’il est doué d indivisibilité au degré suprême. »

Par conséquent[1], « le Monde archétype, c’est-à-dire le modèle de tout, ce que le Créateur a fait ou créé, de tout ce qu’il fera, de toutes les choses susceptibles d’être créées, c’est proprement cette Sagesse que Dieu engendre de toute éternité, que la loi, la doctrine et la foi des Chrétiens nomme, en toute vérité, Fils de Dieu et Dieu… C’est ce Dieu, ce Fils de Dieu que les sages et les docteurs, parmi les Chrétiens, appellent l’Art du Dieu tout puissant, Art tout rempli de raisons vivantes. »

Jamais, peut-être, la doctrine que Saint Augustin avait conçue en christianisant la théorie de Platon n’avait été formulée avec tant de force et de clarté ; à la Sagesse engendrée par Dieu de

  1. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars principalis, pars I : éd. 1516, cap. XXXVII, t. II, fol. CCXI, col. c ; éd. 1674, cap. XXXIX, p. 791, col. a.