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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

tique latine ; son exemple a convaincu ses successeurs que cette doctrine était acceptable pour des Chrétiens ; les quelques lignes que nous venons de citer se trouvent ainsi au point de départ d’un débat qui passionnera tout le Moyen Âge.

La distinction de l’essence et de l’existence, définies toutes deux connue le voulait Avicenne, va devenir, en effet, l’objet de tant de discussions qu’on en délaissera quelque peu la querelle dont les écoles avaient, jusqu’alors, si fortement retenti ; la question des universaux sera moins vivement agitée ; les partisans dune idée spécifique, distincte des individus et réellement existante, deviendront plus rares.


K. La théorie des idées.


Du Réalisme platonicien, Guillaume d’Auvergne est adversaire déterminé ; la supposition d’un Monde idéal, d’un Monde archétype est, de sa part, l’objet d’une sévère condamnation. La discussion à laquelle il soumet cette doctrine se conclut par ces paroles[1] :

« Par ces dernières observations et par celles qui les ont précédées, il est manifeste que Platon n’a pas compris ce qu’il a dit du Monde archétype, des espèces, aussi bien que des individus ou des êtres singuliers considérés dans leur nature spécifique (in eo quod quid prædicantur). Ces espèces, en effet, il faut nécessairement qu’elles existent dans les êtres singuliers qu’elles comprennent, et avec ces êtres singuliers, La où Socrate existe, là aussi l’homme existe nécessairement ; et partout où l’homme existe, il faut qu’un certain homme existe. Ce qu’il a dit, il l’a voulu dire des idées ou formes intérieures[2] qui résident éternellement dans la pensée du Créateur. »

Les idées des choses créées existent donc seulement, au gré de Guillaume d’Auvergne, dans la pensée du Créateur ; mais quelle sorte d’existence y ont-elles ? « Le Monde archétype est-il le Créateur lui-même[3] ou bien est-il distinct du Créateur ? » Platon tenait pour le second parti ; éternelles et incorporelles, mais cependant créées par le Démiurge, les idées des choses sensibles constituaient un Monde archétype vraiment distinct de Dieu.

  1. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars principalis, pars I : éd. 1516, cap. XXXIII, t. II, fol. CCX, col. c ; éd. 1674, cap. XXXV, p. 789, col. a.
  2. Les deux éditions de 1510 et de 1674 disent, par erreur, exterioribus.
  3. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars principalis, pars I : éd. 1516, cap. XXXVI, t. II, fol. CCXI, coll. b et c ; éd. 1674, cap. XXXVIII, p. 790, col. b.