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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

de Gilbert de la Porrée, le disciple d’Al Gazâli ; mais, dans bien des cas, c’est directement et en connaissance de cause qu’il se mettait à l’école d’Avicenne et d’Al Gazâli ; l’Évêque de Paris était homme de bon sens et de discernement ; dans l’œuvre d‘Aristotelis et jus sequacium, il trouvait beaucoup d’erreurs à combattre, mais il ne croyait pas que tout fût à rejeter ; en particulier, aux Néo-platoniciens arabes il avait emprunté, sans y rien changer, la théorie de l’essence et de l’existence.

Guillaume d’Auvergne avait rédigé une Métaphysique qui ne nous est pas parvenue et qu’il cite, dans le De Universo, sous le titre de Prima Phüosophia ; cette Philosophie première paraît avoir ressemblé de très près, et en des points très importants, à la Métaphysique d’Avicenne ; c’est, du moins, ce que laissent entrevoir les allusions faites à cet ouvrage par le De Universo.

« Dans la première partie de la Philosophie première, écrit l’Évêque de Paris au commencement de son traité De l’Univers[1], nous avons expliqué déjà que tout causé est possible (possible esse) par soi et qu’il reçoit sur lui-même l’existence (esse) qui est autre chose que lui-même ; cette existence est donc en lui d’une façon potentielle ou en manière de possibilité ; elle est, pour lui, un accident qui lui advient ; elle est reçue par lui sur toute son essence (essentia) complète.

» En effet, toute existence qui est donnée par une cause à son effet (causatum) est séparable de celui-ci, au moins par une opération intellectuelle, comme tout ce qui est reçu est séparable de ce qui le reçoit. D’une manière générale, toutes les fois qu’une existence (esse) est autre que l’être (ens) qui la possède, celui-ci est séparable de son existence de la manière que nous venons de dire. Or une chose dont on peut séparer son existence ne possède cette existence que d’une manière potentielle ; elle ne la possède pas en vertu d’une nécessité telle qu’on la puisse appeler : existence nécessaire par soi (necesse esse per se)…

» Nous avons déclaré ailleurs que l’existence nécessaire par soi ne saurait, d’aucune manière, être commune à deux choses. L’être nécessaire par soi doit nécessairement être un, être au dernier terme de l’unité, posséder l’ultime individualité, en sorte qu’il ne peut être que numériquement un. »

Ce sont les pensées, les termes, les formules mêmes d’Avicenne. De la distinction entre l’essence et l’existence, posée par le Néoplatonisme arabe, Guillaume a été l’introducteur dans la Scolas-

  1. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo prima pars principalis, pars I : éd. 1516, cap. IV, t. II, fol. XCII, col. a ; éd. 1674, cap. III, p. 562, col. b.