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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

losophorum d’Al-Gazâli[1] ; en réalité, ce qu’elle répète, c’est l’enseignement de Saint Augustin[2]. Voici cette réponse[3] :

« Si l’on dit que quelque chose a été avant le Monde, c’est, sachez-le bien, une manière de parler toute semblable à celle-ci : Quelque chose est hors du Monde ou au delà du Monde. De même, en effet, que le Monde n’a pas de dehors, n’a pas d’au-delà, puisqu’il contient et embrasse toute chose, de même le temps, qui a commencé à la création du Monde, n’a pas d’auparavant ni de précédemment, puisqu’il contient en lui tous les temps qui sont ses parties. Sachez, en outre, que les grammairiens instruits déclareraient que ces locutions sont nuageuses et insuffisantes au point de vue de la grammaire. Que quelqu’un, par exemple, pose cette question : Un homme qui serait près de la suprême surface des cieux ne pourrait-il pas étendre la main au-delà de cette surface ? On lui répondrait : Nous n’avez rien dit, vos paroles n’ont pas de sens. Ainsi en serait-il s’il demandait : Avez-vous vu l’homme qui est un âne ? De même, en effet, que cette question-ci implique une impossibilité, à savoir qu’un homme soit un âne, de même celle-là implique [cette autre impossibilité] : Un lieu existe, qui n’est ni le Monde ni intérieur au Monde…

» Celui qui pose cette question : Avant le commencement du temps, y a-t-il eu quelque chose ? alors que le mot : avant implique l’idée de temps, fait exactement comme s’il demandait : Dans le temps, qui a précédé le commencement du temps, quelque chose a-t-il existé ? De même celui qui pose cette question : Hors du Monde ou au-delà du Monde, y a-t-il quelque chose ? fait comme s’il posait cette autre question : Y a-t-il quelque chose dans le lieu qui est hors du Monde ? Aucun homme doué d’intelligence ne jugera que de telles questions soient sensées ni qu’elles méritent réponse. »


G. La matière des créatures spirituelles.


Nous avons vu que Guillaume connaissait le Fons vitæ d’Avicébron, qu’il donnait à ce livre le titre de Fons sapientiæ et qu’en l’auteur, il soupçonnait un Chrétien. Nous nous posons tout naturellement cette question : A-t-il, à quelque degré, subi l’influence d’Ibn Gabirol ?

Cette influence, il paraît bien qu’il l’a complètement repoussée.

  1. Voir : Troisième partie, Ch. III, § I ; t. IV, pp. 508-510.
  2. Voir : Seconde partie. Ch. 1, § XI : t. II, pp. 465-466.
  3. Guillaume d’Auvergne, loc. cit., cap, IX ; éd. 1516, fol. CXL, col. c ; éd. 1674, pp. 654. coll. a et b.