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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

de Guillaume d’Auvergne, n’acceptaient point cette correction ; l’autorité de Boëce leur servait à confirmer la plus dangereuse opinion qui fut en tout l’Averroïsme.

On n’avait donc pas besoin de lire Averroès pour connaître cette hérésie. Au temps de Guillaume d’Auvergne, la Philosophie Algazelis, le Tractatus de anima d’Avicenne étaient des plus répandus. Vraisemblablement aussi, on lisait déjà Maïmonide et l’on connaissait par lui les idées d’Ibn Bâdja. À cette source, peut-être, Guillaume a puisé la connaissance des erreurs que nous allons l’entendre réfuter.

L’Évêque de Paris vient de rappeler qu’Aristote admet (du moins, il le croit) l’existence de neuf Intelligences célestes. Il poursuit en ces termes[1] : « Quelques-uns de ceux qui philosophent ont admis que les neuf chœurs des anges ne diffèrent pas des neuf Intelligences, mais que, bien plutôt, les neuf chœurs sont les neuf Intelligences et réciproquement. Or, comme vous l’avez vu dans ce qui précède, Aristote nie que, par soi et en tant qu’il est en elles, les substances séparées soient susceptibles de nombre ; elles l’admettent uniquement en raison des matières dans lesquelles elles se trouvent, qu’elles meuvent ou qu’elles dirigent. C’est une assertion qu’Aristote et ceux de sa suite ont émise d’une manière évidente au sujet des âmes humaines ; ils ont dit qu’elles n’étaient point multiples ni dénombrables, si ce n’est tandis qu’elles sont en des corps ; il n’y a, en elles, multiplicité et nombre qu’en raison des corps en lesquels elles sont, qu’elles meuvent et dirigent ; c’est pourquoi lorsqu’elles seront séparées des corps, elles ne seront plus dénombrables… De même, il [Aristote] dit que les Intelligences ne sont point dénombrables, sinon en raison des cieux qu’elles meuvent ; voilà pourquoi il a supposé qu’il y en avait neuf, d’après le nombre des cieux et du monde terrestre ; huit Intelligences sont déléguées aux huit cieux ; au monde terrestre, est spécialement et principalement attribuée l’intelligence active, qu’il a posée comme créature des âmes humaines et soleil intelligible de ces mêmes âmes. Il vous devient donc manifeste qu’Aristote, en vertu de sa susdite opinion, n’a pu admettre les chœurs célestes, alors que chaque chœur contient plusieurs milliers de substances séparées.

Beaucoup mieux qu’aucun commentaire d’Averroès, ce que ce

  1. Guillermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars principalis : éd. 1516, pars I, t. II, cap. CLXVI, fol. CCLXII, col. d ; éd. 16741. pars II, cap. CXII, p. 908, col. a.