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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’autre vie et la gloire pour laquelle elles ont été créées. — Contra hunc igitur errorem animæ humanæ, non solum rationibus et probationibus armari debent omnia genera hominum, sed ferro et omni genere tormenti, ad exterminandum ipsum ; cum error iste et vitam alteram, et gloriam propter quam creatæ sunt auferat eisdem. »

« Pour détruire cette erreur[1], ce n’est pas de raisons ni de preuves qu’il faut user, mais du feu, du glaive et de tout genre de peines propres à l’exterminer. — In destructione autem hujus erroris non rationibus aut probationibus utendum est, sed igne et gladio, omnique pænali genere exterminii. »

« Il ne manque du reste, dans les écrits de Guillaume d’Auvergne, disait Renan[2], que le nom d’Averroès, pour en faire le premier et le plus ardent adversaire de l’Averroïsme… Averroès n’est pas nommé davantage dans la longue argumentation de Guillaume contre la théorie averroïste par excellence, l’unité de l’intellect… C’est donc bien réellement Aristote qui, dans la pensée de Guillaume, est responsable de la monstrueuse doctrine de l’unité de l’intellect. Et cette doctrine, pourtant, il l’expose avec toutes les particularités qu’Averroès y a ajoutées et dont on ne trouve aucune trace dans le Traité de l’Âme. « Renan en conclut[3] qu’ « Averroès, à l’époque de Guillaume d’Auvergne, n’était pas encore le représentant des doctrines dangereuses du Péripatétisme arabe, mais que ces doctrines étaient, dès lors, parfaitement connues, »

L’hérésie de l’unité de l’intelligence humaine n’était nullement une nouveauté, en effet, pour les écoles de la Chrétienté latine ; nous savons[4] que la lecture de Macrobe l’y avait introduite, que Macarius Scotus et les moines de l’abbaye de Corbie l’avaient professée, que le Pseudo-Bède lavait exposée et combattue ; elle avait donc été connue et discutée avant que les écrits des philosophes arabes n’eussent été traduits.

Les partisans latins de cette hérésie avaient accoutumé d’invoquer, en faveur de leur doctrine, des autorités à la fois plus anciennes et moins suspectes (pie les traités composés par des Musulmans. Certains d’entre eux s’efforcaient de justifier la thèse de l’unité de l’âme humaine par une analyse du principe d’individuation ; ils voulaient que les accidents seuls distinguassent les

  1. Guillekmi Parisiensis Episcopi De Universo prima pars principalis : éd. 1516, pars II, tractatus de Providentia, cap. VII, t. II, fol. CXCIII, col. b ; éd. 1674, pars III, cap. XXIX, t. I, p. 802.
  2. Ernest Renan. Averroès et l’Averroïsme, pp. 181-182.
  3. Renan, Op. laud., pp. 179-180.
  4. Voir : Seconde partie, Ch. III. § VII ; t. III, pp. 80-81.