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AVICÉBRON

Sans nous attarder à reproduire ces considérations, disons comment le philosophe hiérarchise ces diverses substances intermédiaires entre la Matière première et Dieu.

Cette hiérarchie, c’est encore par son principe favori qu’il la justifiera ; il montrera comment les substances spirituelles se subordonnent les unes aux autres secundum ordinem resolutionis[1]. Ce principe, voici comment il va l’appliquer :

Deux sortes d’opérations sont-elles dissemblables d’un certain côté et semblables par un autre ? Leur dissemblance indique qu’elles sont produites par deux agents différents, par deux substances différentes. Mais, d’autre part, leur ressemblance doit avoir une raison d’être ; elle ne la saurait trouver, sinon dans une substance unique qui soit cause des unes et des autres.

Comparons alors ces deux sortes d’opérations ; si les opérations de la première sorte sont plus parfaites que les opérations de la seconde sorte, l’agent qui produit celles-là sera la cause de l’agent qui produit celles-ci ; il accomplira directement les premières et, en causant la substance qui produit les secondes, il accomplira indirectement les secondes. Ainsi aurons-nous mis en évidence l’existence de deux substances et montré que l’une d’elles, supérieure à l’autre, est cause de l’autre.

« Lorsque tu trouves, par exemple, que les opérations naturelles sont du même genre que les opérations de l’Âme végétative, qu’elles sont semblables, mais aussi que les opérations de la Nature sont moindres que les opérations qui tout croître les corps, ne te faut-il pas accorder que l’Âme végétative est la cause de la Nature ? »

Une sorte de tableau[2], qu’on dirait tiré du Livre des Causes, énumère les diverses substances simples suivant l’ordre d’une hiérarchie descendante ; nous y voyons comment l’opération de chacune des substances est analogue à l’opération de la substance supérieure, mais moins parfaite.

« La forme de l’Intelligence comprend toutes les formes et les connaît. La forme de l’Âme rationnelle comprend les formes intelligibles et les connaît, mais par un mouvement discursif qui la fait passer successivement par ces formes ; cette opération ressemble à celle de l’Intelligence. La forme de l’Âme sensitive saisit les formes corporelles et les connaît à l’aide du mouvement local qu’elle peut imprimer à chaque corps pris en totalité ; cette

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, II, cap. 45. pp. 181-184.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, IV, cap. 17. p. 250.