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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Mais la Matière universelle d’Avicébron présente, avec l’Οὐσία universelle de Scot, de nombreux traits de ressemblance ; nous en avons signalés quelques-uns[1] ; que, séduit par ces analogies, un philosophe, disciple à la fois du Fils de Florin et du Rabbin de Malaga, substitue, dans la thèse que nous venons de résumer, la Matière universelle à l’Οὐσία universelle, et il sera conduit à crttc affirmation : Dieu, le Νοῦς et la Matière universelle sont une même chose.

Qu’un tel travail ait pu s’accomplir dans l’esprit de quelque philosophe, ce n’est pas chose invraisemblable. Nous allons voir, par exemple, comment le premier des deux degrés que nous avons définis avait été, déjà, gravi par Bernard Sylvestre.

Sous le titre : De Mundi universitate, Bernard Sylvestre a composé une sorte de commentaire poétique, partie en vers, partie en prose, du traité De opere sex dierum écrit par Thierry de Chartres ; c’est à Thierry qu’il a dédié ce commentaire, (/ouvrage est divisé en deux parties, l’une consacrée au Macrocosme, l’autre au Microcosme, c’est-à-dire à l’homme ; Victor Cousin[2] et Barthélemy Hauréau[3] ont étudié cette œuvre, qu’ils ont attribuée à Bernard de Chartres, frère de Thierry ; ils en ont publié des fragments.

« Le Noys, dit Bernard[4] est la première image de la vie vivante, Dieu issu de Dieu, substance du vrai, teneur de l’éternel conseil. » À ces traits, nous reconnaissons le Verbe.

« Ce Noys, dit-il encore[5], est l’intelligence du Dieu souverain et plus que suprême, il est nature née de la divinité de celui-ci ; en lui sont les images de la vie vivante, les notions éternelles, le monde intelligible, la connaissance définie d’avance de toutes choses… Là se trouve inscrit dans son genre, dans son espèce, dans sa singularité individuelle tout ce qu’engendrent la Hyle, le Monde et les éléments. » Le Noys tel que le conçoit Bernard, c’est bien le Verbe décrit par Jean Scot.

Au sein du Noys, existent éternellement la matière et la forme de l’Univers. « Il est[6] l’Usia (Οὐσία) primitive et éternelle, la persévérance féconde, l’unité de la pluralité ; cette Usia est une, elle est seule, la nature de Dieu tout entière vient d’elle et est en

  1. Voir Ch. V. § i, pp. 38-45.
  2. Victor Cousin, Introduction aux ouvrages inédits d’Abélard.
  3. B. Hauréau, Histoire de la Philosophie Scolastigue, première partie, pp. 407-418.
  4. B. Hauréau, Op. laud., p. 408.
  5. B. Hauréau, Op. laud., p. 409.
  6. B. Hauréau, Op. laud., p. 410.