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LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

Faut-il souscrire au jugement d’Albert le Grand[1] et croire avec lui qu’Alexandre d’Aphrodisias a vraiment été l’inspirateur de David de Dinant ? C’est l’opinion que Ch. Jourdain a proposée et soutenue.

« Ce n’est pas ici le lieu, disait Charles Jourdain[2], de parcourir les nombreux commentaires qu’Alexandre a laissés, ni même d’en dresser la liste. On n’ignore pas qu’il existe dans le nombre un double commentaire sur le traité De l’âme, et un extrait de ce commentaire qui forme un opuscule à part sous ce titre : De i’intelligence et de l’intelligible. Or nous croyons être en mesure d’établir, sinon avec une complète certitude, au moins avec une vraisemblance assez haute, que ce sont précisément ces écrits et le traité auquel ils se rapportent qui, mêlant leur influence à celle de l’ouvrage de Scot Erigène, ont égaré David de Diînant et l’ont poussé aux conclusions qui lui sont imputées, »

En dépit de l’habile exégèse de Charles Jourdain, nous ne parvenons pas à reconnaître, dans les commentaires d’Alexandre d’Aphrodisias au traité De l’âme, le moindre germe de la doctrine attribuée à David de Dînant par Albert le Grand et par Saint Thomas d’Aquin.

Le lien que Charles Jourdain, établit entre ces doctrines et le De divisione Naturæ serait peut-être plus saisissable ; toutefois devrait-on supposer que l’enseignement du De divisione Naturæ a été influencé par celui du Fons vitæ.

Le nom de Noys (Νοῦς) peut raisonnablement s’appliquer au Verbe ; dès lors, l’identité du Noys avec Dieu ne serait plus que l’expression du dogme catholique.

D’autre part, selon le langage de Jean Scot, le Verbe est l’Essence universelle, l’Οὐσία de toutes choses et, par là, il entend simplement cette doctrine de Saint Augustin que le Verbe est l’Idée ou l’Exemplaire éternel de la création. L’identité de Dieu, du Νοῦς et de l’Οὐσία universelle pouvait donc être proclamée par un lecteur de l’Érigène sans porter la moindre atteinte à la doctrine catholique.

  1. La Bibliothèque municipale de Mayence garde en manuscrit une Compilation de novo spiritu attribuée à Albert le Grand. Cet ouvrage énumère une suite d’erreurs ; l’erreur qui porte le no 76 est ainsi formulée : « Dire que toute créature est Dieu, c’est l’hérésie d’Alexandre ; celui-ci a prétendu que la Matière première, Dieu el le Noys sont une même substance ; plus tard Alexandre a été suivi par un certain David de Dynant (sic) qui, de nos jours, a été chassé de France pour cette hérésie, et qui eût été puni si on l’avait pu saisir. » (Denifle et Châtelain, Charlularium Universitatis Parisiensis, pièce no 11. note 17, t. I, p. 71).
  2. Ch. Jourdain, Op. laud., pp. 400-401.