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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

» Voici la première : Deux choses qui ont un être distinct, mais sont conçues sous une commune nature, se liront du concept commun de cette nature par une division qu’introduisent des caractères distinctifs (differentiæ) opposés l’un à l’autre.

» La seconde proposition se formule ainsi : Toute chose qui possède une existence distincte sous nu concept qui lui est commun avec d’autres choses est composé de deux principes : Une nature qui lui est commune avec ces autres choses, et un caractère distinctif qui la constitue en acte.

» La troisième proposition est la suivante : Deux choses dont les caractères distinctifs ne diffèrent pas sont une même chose.

» Enfin voici la quatrième proposition : Une chose simple ne possède absolument aucun caractère distinctif qui différencie son être (differentia secundum inesse distinctum distinguens).

» Ces propositions sont tirées du livre d’un certain Péripatéticien grec du nom d’Alexandre qui a hérité des opinions de Xenophane. »

De ces axiomes, Albert déduit longuement la conclusion qu’il énonce ainsi : « Dieu, le Noys et la Matière sont des êtres ; et, sous le commun concept d’être (sub ente), ils ne participent d’aucun caractère propre à distinguer un être d’un autre être ; donc Dieu, le Noys et la Matière sont identiques. »

« Cette opinion, ajoute-t-il, eut les complaisances d’Alexandre le Péripatéticien ; dans la mesure de ses connaissances, David de Dinant s’en est approprié quelque chose ; mais il n’en a pas eu l’intelligence parfaite et profonde. »

Dans le raisonnement qu’Albert développe d’après Alexandre, nous reconnaissons, en effet, nu argument que, sous une forme plus concise, Saint Thomas d’Aquin mettait au compte de David de Dinant.

Que le Péripaléticien Alexandre soit bien, dans la pensée d’Albert, le même qu’Alexandre d’Aphrodisias, il est difficile d’en douter. À la fin du chapitre suivant de sa Métaphysique[1], l’Évêque de Ratisbonne cite encore Alexandre ; ce philosophe, prétend-il, a emprunté de Xénophane « l’opinion que le Noys devient l’âme en prenant une forme corporelle » ; nous avons bien ici, semble-t-il, une reconnaissable allusion à la doctrine d’Alexandre qui, du νοῦς ὑλικός, faisait une simple disposition matérielle.

  1. Alherti Magni Op. laud., lib. I, tract. IV, cap. IX : Et est digressio declarans improbationes et solutiones rationum ipsius Zenophanis.