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LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

donc qu’il y ait assimilation de l’intelligence à Dieu et à la Hyle. Or, une telle assimilation se peut faire soit par identité, soit par assimilation simple. Mais elle ne peut, ici, se faire par assimilation simple, car une assimilation de ce genre se produit toujours au moyen d’une forme tirée, par abstraction, de l’être qui est conçu, et ni Dieu ni la Hyle n’a de forme. Si donc Dieu et la Hyle sont conçus, il faut qu’ils le soient en vertu de l’identité qu’ils ont avec l’Intelligence ; partant, en substance, l’Intelligence, la Hyle et Dieu sont même chose. »

Ce n’est plus la manière de raisonner du Fons vitæ, c’est bien plutôt celle des psychologues arabes que nous reconnaissons ici.

Al Fârâbi distinguait[1] déjà entre la connaissance que nous acquérons des choses composées de matière et de forme, et celle que nous prenons des Intelligences séparées de la matière. Les premières, nous les pensons en saisissant par notre raison les formes que nous en avons détachées par abstraction ; elles ne sont donc pas en nous ce qu’elles sont hors de nous ; en nous, elles sont formes abstraites de la matière ; en elles-mêmes, elles sont substances composées de forme et de matière. Au contraire, lorsque nous concevons une Intelligence, forme pure, exempte de toute matière, « elle possède en nous, lorsqu’elle est pensée et pendant le temps que nous la pensons, une existence identique à l’existence qu’elle a par elle-même. » Cette connaissance, c’est l’assimilation par identité dont parlera David de Dinant, qui aura sans doute lu le De intellectu d Al Fârâbi. Du traité composé par Ibn Bâdja Sur le régime du solitaire, il n’aura certes aucun soupçon ; sans quoi, il y retrouverait la même distinction[2].

David paraît donc tenir tantôt d’Ibn Gabirol et tantôt d’Al Fârâbi, les formes des arguments qu’il emploie pour soutenir sa thèse ; mais cette thèse même ne lui vient pas de ces auteurs qui l’eussent vivement repoussée : sa doctrine était-elle aussi reçue de quelque précurseur ?

Albert le Grand lui donne un premier auteur en la personne d’« un certain Péripatéticien grec du nom d’Alexandre. »

Dans sa Métaphysique, Albert le Grand prétend exposer[3] de quelle manière Xénophane soutenait l’identité de toutes choses. Xénophane, dit-il, « ne distinguant pas la matière de la forme, affirmait que tout est Dieu. Il s’appuyait sur quatre propositions.

  1. Voir : Troisième partie, ch. II, § II ; t. IV. pp. 408-409.
  2. Voir : Troisième partie, ch. III, § III ; t. IV, p. 528.
  3. Alberti Magni Metaphysica, lib. I, tract. IV, cap. III : Et est digressio declarans rationem Zenophanis qua omnia dici esse unum Deum.