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LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

substance dont tous les corps sont formés est dite Hyle ; la substance dont toutes les âmes sont faites est dite Raison ou Esprit (Mens). Il est donc manifeste que Dieu est la substance de tous les corps et de toutes les âmes. Il est évident que Dieu, la Hyle et l’Esprit sont une seule et même substance. »

Pour établir ce Monisme panthéistique, David usait de divers arguments. De ces arguments, deux sont reproduits par Albert le Grand, qui ne nomme point l’auteur, dans son commentaire au Livre des Causes[1]. Voici le premier, qui est assez clair pour se passer d’explication :

« Toutes les choses qui existent par elles-mêmes, et non pas en autre chose, appartiennent à un même genre ; or toutes les choses qui sont d’un même genre découlent d’un même principe indivisible ; donc, Dieu, le Noys et la Matière découlent d une même substance indivisible.

» Mais le principe de toutes les choses qui ne sont pas en autrui et dans lesquelles, au contraire, sont toutes les autres choses, que peut-il être, sinon ce à quoi convient la notion première de sujet ? Or ce caractère, c’est la Matière qu’il convient tout d’abord ; rien, en effet, ne la supporte, et elle est le support de tout le reste. Donc le principe essentiel de tout ce qui se trouve dans la catégorie de la substance, c’est la Matière. »

Il est difficile d’entendre cet argument sans songer à la doctrine d’Avicébron ; affirmer que toutes les substances qui sont dans un même genre ont, entre elles, une commune matière, c’est bien la proposition la plus saillante du système soutenu par le Rabbin de Malaga ; celui-ci n’avait pas craint d’affirmer qu’il existe une matière commune à tous les corps et à tous les esprits ; si, dédaigneux de l’enseignement des métaphysiciens qui placent Dieu hors de toute catégorie, on fait entrer Dieu dans la catégorie de la substance, on sera naturellement conduit par la méthode d’Ibn Gabirol à proclamer l’existence d’une Matière première commune à Dieu, à tous les esprits et à tous les corps ; cette conclusion est précisément celle de David de Dînant.

Albert reproduit ailleurs[2], avec des variantes sans importance, le même argument, et la méthode d’Avicébron ne transparaît pas moins dans cette autre forme du raisonnement. Elle prend, en effet, cet axiome pour point de départ : « Ce qui peut, par l’im-

  1. Alberti Magni De causi et processu Universitatis a Causa prima, lib. I, tract. I, cap. I.
  2. Alberti Magni Summa theologica, pars II, tract. IV, quæst. 20.