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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

III
DAVID DE DINANT, BERNARD SYLVESTRE ET LE FAUX ALEXANDRE

Les condamnations qui frappent les hérésies d’Amaury de Chartres, réprouvent, en même temps, l’œuvre de David de Dinant. David était-il de Dinan en Bretagne ou de Dînant sur Meuse ? La question a été agitée[1] ; aucun document ne lui donne de réponse. Cette réponse importe assez peu, d’ailleurs ; il est moins intéressant de déterminer le lien de naissance de notre philosophe que de fixer la doctrine qu’il a professée. Ch. Jourdain et B. Hauréau, qui se sont particulièrement attachés à ce dernier objet[2] ont montré qu’Albert le Grand et Saint-Thomas d’Aquin fournissaient, à qui le veut étudier, de précieux renseignements.

Le texte de Saint Thomas est court, mais précis ; citons-le tout d abord, car il place dans une vive lumière la thèse essentielle de David.

« David de Dinant, dit le Doctor communis[3] a divisé la réalité en trois parties : Les corps, Les âmes, les substances séparées. Le premier indivisible au moyen duquel tous les corps sont constitués, il l’a nommé Hyle (Ὕλη). Le premier indivisible au moyen duquel sont constituées les âmes, il l’a nommé Noys (Νοῦς) ou Esprit (Mens). Enfin le premier indivisible parmi les substances éternelles, il l’a appelé Dieu. Ces trois indivisibles sont une seule et même chose ; il en résulte que, par essence, toutes choses ne font qu’un. »

Albert, le Grand avait formulé[4] presque dans les mêmes termes la thèse de David, et L’énoncé qu’il en avait proposé était, disait-il. de l’auteur lui-même :

« David pose une telle conclusion en disant ceci : « Il est manifeste qu’il y a une substance unique non seulement pour tous les corps, mais encore pour toutes les âmes ; il est manifeste aussi que cette substance n’est autre que Dieu même. La

  1. P. Feret, Op. laud., t. I, p. 205.
  2. Ch. Jourdain, Op. laud. — B. Hauréau, Mémoire sur la vraie source des erreurs attribuées à David de Dinant (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXIX, 2e partie, 1879. pp. 319-330). — Histoire de la Philosophie Scolastique, seconde partie, t. I, Paris, 1880. pp. 73-82.
  3. Sancti Thomæ Aquinatus Lectura super secundum librum Sententiarum, dist. XVII, quæst. I.
  4. Alberti Magni Somma theologica, pars II, tract. II, quæst. LXXII, membrum 4, art. 2. — Sumrna de creaturis, pars II, quæst. V, art. 2.