Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

celle d’Isaac, mais que la même nature leur est commune à tous deux, de même, selon Amaury, tous les êtres sont un seul être et tous les êtres sont Dieu. Il soutient, en effet, que Dieu est l’essence (essentia) de toute créature et l’être (esse) de toute chose.

» Ailleurs, il enseigne que, comme la lumière ne s aperçoit pas en elle-même, mais dans l’air, de même Dieu ne saurait être vu, en lui-même, ni par Lange ni par l’homme ; il ne peut être contemplé que dans ses créatures.

» C’était encore une des thèses d’Amaury que, sans le péché, la distinction des sexes n’aurait pas eu lieu, mais que les hommes se seraient multipliés en dehors des lois ordinaires de la génération, à la manière des anges, et qu’après la résurrection, les deux sexes seront de nouveaux réunis, comme ils l’ont été à la création. »

Martin de Pologne ajoute : « Qui omnes errores inveniuntur in libro qui intitulatur Periphyseon. — Toutes ces erreurs se rencontrent dans un livre intitulé : Periphyseon. » Il désignait par là le Περὶ φύσεως μερισμοῦ de Jean Scot Érigène.

Il est bien vrai que les diverses propositions énumérées par Martin se lisent textuellement, ou à peu près, au De divisione Naturæ ; Charles Jourdain a pris soin de les relever[1], et nous les avons rencontrées presque toutes lorsque, de la Métaphysique du fils de l’Érin, nous avons tracé une courte esquisse[2]. Mais Amaury de Bennes les entendait-il dans le même sens que le Philosophe de Charles le Chauve ?

Sans doute, Jean Scot écrit[3] : « Celui-là seul est l’essence de toutes choses, qui seul est vraiment. » Que prétend-il par là ? Il veut affirmer que Dieu est l’essentia, l’οὐσία, l’idée ou exemplaire éternel de toute créature. Mais si toute créature a une essence, une οὐσία par laquelle elle réside éternellement en Dieu, par laquelle elle est Dieu même, elle a aussi une nature, une φύσις par laquelle elle a son existence propre, son existence temporelle, dans la matière, sous les formes et les espèces. Grâce à cette distinction, la pensée de l’Érigène, parfaitement orthodoxe, reflète et développe la pensée de Saint Augustin. Qu’on efface cette distinction, qu’on étende à la φύσις ou nature tout ce que le Περὶ φύσεως μερισμοῦ a dit de l’οὐσία ou essence, à l’existence temporelle au sein de ce Monde tout ce que ce livre a déclaré de l’existence idéale au sein

  1. Ch. Jourdain, Op. laud., pp. 473-476.
  2. Voir Chapitre V.
  3. Joannis Scoti Erigenæ De divisione Naturæ lib. I, cap. 3 ; [Joannis Scoti Erigenæ Opera, Accurante J. P. Migne (Patrologiæ Latinæ, t. CXXII) col. 443].