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LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

Quelques historiens l’ont pensé ; ils paraissent s’être trompés.

Tout d’abord, dans Maurice l’Espagnol, Renan[1] et le P. Mandonnet[2] ont supposé qu’on devait reconnaître Averroès ; à qui a rencontré les déformations étranges qu’imposaient aux noms propres les copistes du Moyen Âge, l’hypothèse ne paraît pas invraisemblable ; mais, comme l’ont fait remarquer le P. Denifle et M. Émile Châtelain[3], Albert le Grand cite[4], lui aussi, un Mauritius qu’il ne confond certainement pas avec Averroès.

Rendre le Péripatétisme responsable des écarts qui ont jeté Amaury et David de Dinant hors de la foi catholique, ce serait chose fort naturelle, puisque nous voyons ces deux hommes constamment frappés par les premiers anathèmes lancés contre Aristote.

Lorsqu’en 1210, Pierre de Corbeil interdit toute leçon publique ou privée sur les livres de Physique d’Aristote et les commentaires qui en ont été faits, il ordonne, en même temps, que le corps d’Amaury soit exhumé et jeté en terre non-sainte ; il veut que les Quaternuli de David de Dinant soient brûlés et que quiconque en gardera un exemplaire soit tenu pour hérétique.

Quand Robert de Courçon réprouve la lecture des livres d’Aristote, il étend sa prohibition aux résumés de la doctrine de David de Dinant et d’Amaury l’hérétique.

Ces décrets ne nous font rien connaître des opinions erronées que professaient Amaury et David. De même, le 3 novembre 1215, au VIe concile de Latran, Innocent III condamnait[5] « perversissimum dogma Amalrici », sans définir plus explicitement une erreur que, vraisemblablement, tout le monde connaissait.

Une seule pièce officielle nous renseigne sinon sur la doctrine d’Amaury, du moins sur celle des « Amalriciens » ses partisans. En 1210, plusieurs prêtres et clercs, disciples d’Amaury, furent brûlés à Paris pour avoir soutenu des propositions qu’on nous rapporte[6] ; toutes ces propositions sont du domaine de la Théologie ou de la Morale ; aucune d’entre elles ne permet de relever la trace d’une influence exercée par la philosophie d’Aristote ;

  1. E. Renan, Averroès et l’Averroïsme.
  2. P. Mandonnet, O. P., Siger de Brabant. Seconde édition, première partie (Étude critique), pp. 17-18, en note (Les Philosophes Belges, t. VI, Louvain, 1911).
  3. Denifle et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, pièce 20, t. I, p. 80, note 4.
  4. Alberti Magni Scriptam in libros Sententiarum, lib. II, dist. XXVI, art. 5.
  5. Denifle et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, pièce No22, t. I, p. 81.
  6. Denifle et Châtelain, Op. laud., pièce No, t. I, pp. 71-72.