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LES PREMIÈRES INFILTRATIONS

et la Théologie du Pseudo-Aristote avaient autant contribué que l’authentique pensée du Stagirite. C’est seulement beaucoup plus tard, vers 1220 ou 1230, que Michel Scot renforça l’influence vraiment péripatéticienne en donnant aux Scolastiques les principaux écrits d’Averroès.

À la vérité, on ne reconnut pas, tout d’abord, ce qu’il y avait de platonicien dans les écrits des premiers philosophes arabes. La conformité de leur langage technique avec celui du Péripatétisme, la vénération qu’ils ne cessaient de professer pour Aristote, « le premier Maître », firent qu’on les prit volontiers pour disciples fidèles du Stagirite. Déjà Maïmonide, dont l’information était cependant plus riche et plus détaillée que celle des écolâtres de Chartres et de Paris, semble avoir donné dans cette erreur ; au Guide des Égarés, le nom d’Aristote est une sorte de titre collectif, sous lequel les pensées d’Avicenne ou d’Al Gazâli sont comprises aussi bien que les doctrines péripatéticiennes authentiques. La Scolastique latine paraît avoir, tout d’abord, fait comme Maïmonide et l’avoir même dépassé ; la Philosophie d‘Aristote fut le terme collectif qui servit à désigner toutes les productions de la sagesse hellénique ou musulmane envoyées d’Espagne par les traducteurs.

Déjà, dans un écrit de Dominique Gondisalvi Sur l’immortalité de l’âme, écrit que Guillaume d’Auvergne devait s’approprier au siècle suivant, nous voyons[1] l’auteur mettre, d’une part, « les philosophes, c’est-à-dire Aristote et ceux qui l’ont suivi, » et, d’autre part, Platon : « Et hæc quidem fere ommia a philosophis accepimus, ab Aristotele scilicet et sequacibus ejus. Rationes autem et probationes Platonis præterimus. »

Cette façon de parler se conserva longtemps ; jusqu’au milieu du xiiie siècle, semble-t-il, les deux noms de Platon et d’Aristote eurent ainsi, pour beaucoup de Latins, une signification qu’un historien de la Philosophie quelque peu renseigné ne leur eût certes pas accordée ; le nom de Platon dominait toutes les doctrines que l’on connaissait depuis longtemps, toutes celles qu’avec l’aide de Saint Augustin et de Denys, on avait accommodées de telle sorte qu’elles s’accordassent au Dogme catholique ou ne lui fussent pas directement contraires ; le nom d’Aristote, au contraire, servait d’enseigne à tous les systèmes nouveaux venus auxquels un commun langage donnait un air de parenté et, surtout, qu’une foule

  1. Georg Bülow, Des Dominices Gundissalinus Schrift von der Unsterblichkeit der Seele, p. 11 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. II, Heft. III ; Münster, 1897).