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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

bien reconnaissable, la marque de la pensée platonicienne dont, par deux canaux divers, l’influence était venue les féconder.

Quand donc les traducteurs dérivèrent vers la Scolastique latine ce qu’avait gardé jusqu’alors la profonde réserve de la Scolastique arabe, c’est au sein d’esprits tout imprégnés de Platonisme que se déversèrent les doctrines physiques et métaphysiques d’Aristote. Aussi, lorsqu’on des œuvres comme celles de Thierry de Chartres, nous commençons à deviner les premiers indices d’une influence péripatéticienne, c’est parmi des théories conçues à l’imitation du Timée qu’il nous les faut discerner.

D’ailleurs, en même temps que les traducteurs révélaient aux écoles un Aristote qui n’avait pas seulement philosophé sur la Logique, ils apportaient quelques-uns des écrits les plus marquants du Néo-platonisme arabe. Ainsi, sous la direction de Don Raimond, archevêque de Tolède, Jean de Luna et Dominique Gondisalvi traduisaient les quatre premiers livres de la Physique, le De Cælo et Mundo et les dix premiers livres de la Métaphysique d’Aristote ; mais ils y joignaient le De scientiis d’Al Fârâbi, le De anima d’Avicenne et la Philosophia d’Al Gazâli ; or un livre tel que la Philosophia d’Al Gazâii, où toutes les parties de la Philosophie néo-platonicienne construite par les Arabes se trouvaient réunies dans une même somme, succincte et très claire, dut jouir d’une singulière faveur près de l’École de Chartres, alors dans tout l’éclat de sa gloire, près de l’École de Paris, qui allait bientôt éclipser celle de Chartres. En outre, dans cette École de Chartres l’influence de Proclus ne pénétrait pas seulement par l’intermédiaire d’Avicenne ou de son disciple Al Gazâli ; elle s’exorçait directement par le Liber de causis que commentait Gilbert de la Porrée.

Un peu plus tard, Gérard de Crémone donnait aux Latins une connaissance plus complète de l’encyclopédie aristotélicienne ; les huit livres de la Physique, les quatre livres du De Cælo et Mundo, les deux livres du De generatione, les trois premiers livres des Météores, étaient, par cet infatigable traducteur, révélés à la Scolastique chrétienne ; certains opuscules d’Alexandre d’Aphrodisias s’y trouvaient joints ; mais, en même temps, Gérard traduisait des traités d’Al Kindi et d’Al Fârâbi, le De quinque essentiis et le De somno et visione du premier, le De scientiis et le De naturali auditu du second.

Donc, lorsque la Philosophie péripatéticienne vint se mêler à ce Platonisme chrétien au sein duquel les Écoles latines étaient depuis longtemps plongées, elle y parvint en même que des doctrines arabes à la formation desquelles le Livre des causes