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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

du Monde, une étendue indéfinie, non composée de parties et, donc, indivisible, vide de toute matière ; c’est cette étendue qui est le lieu de l’Univers ; cette étendue sans borne, c’est l’immensité de Bien. « Les Anciens, dit-il[1], ont donné le nom de lieu à la forme d’une chose, parce que c’est la forme qui détermine et définit le sujet dans son tout comme dans ses parties… Or Dieu est la forme de l’universalité des sujets, car c’est lui qui produit l’Univers, qui le détermine et le définit ; c’est pourquoi les anciens maîtres lui ont appliqué le nom de lien (Makom) ; au lieu de dire : « Loué soit Dieu », ils disent : « Loué soit Hamakom ! »…… Et cette comparaison est fort belle. De même, en effet, que les dimensions de l’étendue vide pénètrent les dimensions de l’étendue corporelle et les corps qui la remplissent, de même Dieu est en toutes les parties du Monde, il leur sert de lieu, car il les porte et les soutient. »

Lorsque Chasdaï Crezkas formulait une telle pensée, elle était, selon Joël, entièrement nouvelle dans la Synagogue ; elle ne l’était assurément pas dans la Scolastique chrétienne ; sous quelle forme Scotistes et Nominalistes l’avaient déjà enseignée, nous le dirons avec détail lorsque nous étudierons la Physique parisienne au xive siècle ; nous nous contenterons, pour le moment, de l’indiquer très brièvement.

Au voisinage de l’an 1320, l’un des plus illustres disciples de Buns Scot, le véritable créateur de ce qu’on a mal nommé le Scotisme, François de Meyronnes enseigne[2] « que le lieu est formellement le rapport qu’a tout corps logé avec le premier Moteur immobile ; à ce Moteur, nous attribuons deux prédicats, savoir qu’il est partout et qu’il est toujours ; ce n’est pas l’effet d’un rapport qu’il aurait soit avec le lieu, soit avec le temps, mais c’est parce que, à l’égard du premier Être, toute créature a un certain rapport de présence (respectus præsentialitatis) et un autre rapport de présence qui s’établit d’une manière successive (secundum periodum). » Et François conclut en disant : « C’est donc ce premier Moteur qui est le terme du mouvement local. » Dieu est le lieu immobile par rapport auquel se doivent apprécier tout mouvement et tout repos.

  1. Chasdaï Chezkas, Or Adonaï, Premier traité, seconde partie, chap. I, — M. Joël Op. laud., pp. 24-25.
  2. Francisci de Mayronis Scripta in quatuor libros Sententiarum ; lib, II, dist. XIV, quæst. IX (Dans l’édition donnée à Venise, en 1520, des Francisci de Mayronis Opera, où cette question occupe le fol. 151, col. d, et le fol. 152, col. a, on a oublié de la numéroter, en sorte qu’on a numéroté IX la question X).