Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

supposerions que le moteur contraint d’une manière nécessaire le mobile à se mouvoir, de même façon qu’un corps en meut un autre par contact ; mais, [dans le cas du mouvement des cieux], il est absurde de faire cette supposition : la faire, en effet, ce serait admettre que, sans cesse, le mouvement des cieux, impossible par lui-même, est rendu nécessaire par ses causes ; ce serait donc admettre que c’est un mouvement violent… Or c’est une grande absurdité, car on ne trouve rien de tel dans les choses de la nature, et, qui plus est, il serait impossible que ce mouvement violent se continuât perpétuellement.

» En outre, c’est par l’intermédiaire de l’imagination et de la providence que sont mûs les corps célestes ; ou voit donc que leurs moteurs ne les meuvent point violemment, mais à l’aide d’un choix et d’un désir ; ce que produit la puissance motrice, ce n’est pas le mouvement continuel de ces corps ; ce qu’elle produit, c’est ce choix et ce désir du mouvement, comme l’imagination d’un chant produit, dans le chanteur, le désir de chanter ; partant, si nous supposons finie la possibilité de mouvement qui est en eux, il en résulte qu’un jour, leur mouvement fera défaut. »

Les fragments cités par Calo Calonymos ne suffisent assurément pas à nous faire pleinement connaître la philosophie de Lévi ben Gerson ; ils nous fournissent, cependant, certains renseignements précieux.

Ils nous montrent, en premier lieu, avec quelle ardeur le Rabbin de Bagnols s’adonnait à la besogne qui, pendant tout le Moyen Âge, sollicita l’effort de la Scolastique chrétienne. Il réfute, dans les doctrines des philosophes païens, tout ce qui contredirait manifestement aux dogmes religieux, particulièrement aux trois grands dogmes de l’immortalité de l’âme, de la création et de la fin du Monde ; il recueille ce que ces doctrines renferment d’acceptable pour un Chrétien ou pour un Juif : il en veut former un système où la raison et la foi trouvent un harmonieux accord.

Dans l’accomplissement de cette tâche, Lévi ben Gerson n’est pas seulement aidé par les pensées de ses illustres coreligionnaires, des Avicébron et des Moïse Maïmonide ; il n’ignore certes pas l’œuvre des maîtres chrétiens ; on perçoit bien souvent, dans les raisonnements qu’il développe et dans les solutions qu’il propose, l’écho des discussions agitées au sein de l’Université de Paris.

Visiblement, la pensée juive n’est plus isolée ; les doctrines d’Avicébron et de Moïse Maïmonide ont, sur la Scolastique latine, exercé une profonde influence ; cette influence renverse main-