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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

drait-il pas, à la fois et au même moment, le mouvement et la capacité de se mouvoir ?

« L’Univers, dit-il au livre des Guerres du Seigneur[1], perdra à la fois le mouvement et la manière d’être qui le rend apte à se mouvoir. L’être qui se nourrissait perd tout d’un coup, en mourant, le mouvement qui constitue la nutrition et la manière d’être qui lui permettait de se nourrir. De même façon se peut-il faire que la corruption du premier mobile le prive à la fois du mouvement circulaire et de la possibilité de se mouvoir d’un tel mouvement. » « Il développe ce raisonnement, ajoute Calo Calonymos, en un discours d’une extrême prolixité. »

Ce même raisonnement, le Rabbin de Bagnols le reproduit dans son Commentaire sur le livre des Physiques. « Cet Univers en mouvement, qui subit la corruption, nous le pouvons regarder, dit-il, comme un individu unique. Pourquoi donc, après le dernier mouvement de cet individu, faudrait-il qu’il y eût encore un autre mouvement. En effet, dans un individu déterminé, et en tant qu’il est un individu déterminé, rien n’empêche qu’à l’heure de la corruption, deux choses disparaissent ensemble, savoir le mouvement et l’aptitude à être mû ; par exemple, nous disons bien qu’à sa mort, Socrate éprouve une dernière sensation. »

Que le premier mobile ne put cesser de se mouvoir et, donc, que le temps ne pût prendre fin, Averroès le prétendait conclure encore de l’éternité du premier Moteur ; ce raisonnement, non plus, ne trouve point grâce aux yeux de Lévi ben Gerson.

Bien que le premier mobile, dit-il dans le Milchamot Adonaï[2], tienne son mouvement d’une puissance motrice éternelle, il est possible que, de lui-même, il s’arrête et demeure en repos. « Une fois parvenu au terme de son mouvement, le mobile peut éprouver de la fatigue, et, en vertu de sa nature, il peut perdre le mouvement. En effet, si un mobile cesse de se mouvoir pour demeurer en repos, cela ne provient pas de la puissance du moteur, mais nécessairement de la fatigue qui survient en ce mobile. Par exemple les organes du chanteur, ceux à l’aide desquels il chante, sont mis en mouvement par le chant qu’imagine l’âme de ce chanteur ; lorsque ces organes ont persévéré quelque temps en ce mouvement, une fatigue leur advient, et bien que le moteur, que le chant conçu par l’imagination demeure ce qu’il est, ces organes délaissent le mouvement. Il en est ainsi, sauf dans le cas où nous

  1. Calo Calonymos, Op. laud., lib III, pars. III, cap. IV, fol. sign. Hiii, ro.
  2. Calo Calonymos, Op. laud., lib II, cap. III, fol. sign. C, vo, fol. sign. Cii ro.