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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

volontaire : Dieu n’a jamais manqué de vouloir le Monde ; le Monde a donc été éternel, parce que, toujours, Dieu a voulu qu’il fut ; tenir cette opinion ne fait point, à leur avis, tache dans la foi. »

Ainsi, bien après Maïmonide, des rabbins poursuivaient la chimérique conciliation entre la foi des Israélites et les enseignements des philosophes péripatéticiens ou néo-platoniciens.

Qu’une multitude infinie de mondes ait précédé le monde au sein duquel nous vivons, c’était un corollaire de la doctrine de la Grande Année ; au gré de celle-ci le temps était périodique, et, au bout d’une certaine durée, revenait identique à lui-même, ramenant les événements qui, déjà, s’étaient produits. Cette doctrine heurtait violemment la notion que tout homme possède du temps et qui suggère, à la sagesse populaire, ce vieux dicton : Le temps passé ne revient pas. Mais l’empire exercé, sur les esprits du xive siècle, par la philosophie péripatéticienne et néo-platonicienne, était souvent assez tyrannique pour imposer silence à la sagesse commune. Dans les écoles de Paris, nous le verrons, il était alors de mode de discuter cette question : Le temps passé peut-il revenir numériquement le même ? Et nous entendrons des logiciens subtils, comme Guillaume d’Ockam ou Nicolas Bonet, répondre affirmativement à cette question.

Peut-être se rencontrait-il des rabbins qui tinssent la même opinion ; en tous cas, aux philosophes païens, chrétiens ou juifs qui la défendaient, Lévi ben Gerson opposait son enseignement ; il avait fort bien vu comment la définition péripatéticienne de l’instant et du temps conduisait tout naturellement à cette conséquence : Un instant déjà écoulé peut et doit revenir.

Voici comment Calo Calonymos nous résume[1] ce que disait, à ce sujet, le Rabbin de Bagnols :

« Rabbi Lévi éclaire, semble-t-il, ce qu’imagine la foule de ceux qui philosophent ; il montre comment, dès là que le temps est une conséquence du cercle, dès là que l’instant est, dans le temps, ce qu’est le point sur le cercle, le temps sera forcément cyclique ; puis il renverse cette opinion dans les termes suivants : « Dira-t-on que le temps est conséquence du mouvement continuel, que ce mouvement est nécessairement le mouvement de révolution accompli sur une ligne circulaire, qu’enfin chaque instant a lieu en un point marqué sur la ligne que décrit ce mouvement ? La nature de l’instant, ce sera la nature du point dans une ligue circulaire, puisque c’est de cette dernière nature que l’instant

  1. Calo Calonymos, Op. laud., lib. III, pars II, cap. IV, fol. sign. Fiii, vo.