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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

En tirant de l’existence d’une Forme première unique la nécessité d’une Matière première unique, Lévi ben Gerson semble se souvenir des enseignements de son coreligionnaire Ibn Gabirol. Sa Matière première, dénuée de toute figure et de toute dimension déterminée, susceptible de devenir, par une spécialisation nouvelle. soit matière des corps célestes, soit matière des corps sublunaires, sa Matière première, disons-nous, ressemble fort à celle d’Avicenne et d’Avicébron ; surtout, elle est très exactement celle d’Al Gazâli.

Mais ni Avicenne, ni Avicébron, ni Al Gazâli n’a supposé que la Matière première pût, dénuée de toute forme, exister d’existence réelle. Au gré des deux philosophes arabes, le Monde n’a pas commencé ; la Matière première est donc éternelle, mais éternellement elle a été unie à la forme. Au gré du philosophe juif, le Monde a commencé ; mais avant la création, la Matière première n’avait pas d’existence réelle ; elle possédait seulement une existence idéale dans la pensée de Dieu.

Admettre, avec Léon le Juif, que la Matière première éternelle a, durant un passé infini, subsisté réellement sans être pourvue d’aucune forme, puisqu’au moment de la création, elle a reçu soit une forme céleste, soit la forme de quelque corps sublunaire, c’est admettre une doctrine nouvelle, que Péripatéticiens et Néoplatoniciens eussent rejetée de concert.

Cette doctrine, toutefois, a dû être suggérée à Lévi ben Gerson par les discussions qui s’étaient poursuivies, au commencement du xive siècle, dans la Faculté de Théologie de Paris. Avec Jean de Duns Scot, nombre de commentateurs des Sentences avaient admis que la Matière première ne saurait, d’une manière naturelle, exister en l’absence de toute forme, mais que la toute-puissance de Dieu la pourrait, d’une manière miraculeuse, faire subsister dans cet état d’absolu dénûnient. Pour la théorie de Lévi ben Gerson, ces docteurs chrétiens eussent éprouvé moins de répugnance que les Péripatéticiens ou les Néo-platoniciens.


D. La Grande Année et la théorie péripatéticienne du temps.


Après avoir exposé cette doctrine de Lévi ben Gerson, Calo Calonymos ajoute :

« Peut-être Rabbi Juda Lévi, dans son livre intitulé Cozari, a-t-il, au sujet de cette opinion, pris la suite de Rabbi Lévi ; il y déclare, en effet, que si quelque homme en possession de la Loi