Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
222
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

vait même pas de figure qui lui fût propre, car elle était dépourvue de cette nature d’où il provient que le corps garde sa figure.

» Rabbi Lévi tenait pour cette opinion parce que, de même que le principe de toutes les formes est une Forme numériquement une, de même le principe de toutes les matières doit être une Matière numériquement une.

» Voici en quoi consiste l’œuvre de la création : Le Créateur a fait qu’une partie de cette Matière gardât désormais une figure qui lui fût propre ; cette partie a constitué l’orbe des cieux ; dans cet orbe, Dieu a créé les orbes particuliers et les astres ; entre les orbes qui ont des centres différents les uns des autres, il a placé une certaine partie de cette Matière, afin qu’il n’y eût point de vide dans ces intervalles ; enfin, dans une autre partie de cette Matière, il mit une nature telle qu’il y eut, en cette partie de la Matière, possibilité de recevoir toutes les formes : cette dernière matière, c’est la matière inférieure.

» Selon Rabbi Lévi, il est possible que Dieu impose, aux diverses parties d’une même Matière homogène, des dispositions différentes ou des formes différentes, parce que la création est volontaire ; il a donné de grands développements à ce sujet.

» Enfin, dit-il, il ne faut point s’étonner que cette Matière première ait été privée de toute forme. Cela serait impossible après la création du Monde, à cause des formes élémentaires qui se trouvent alors en la Matière et dont elle ne peut plus être dépouillée ; mais avant la création du Monde, cette disposition naturelle n’existait pas, et il n’était pas impossible de rencontrer une Matière privée de toute forme.

» Ce qui a conduit Rabbi Lévi à tenir ce parti, c’est qu’il n’a pas cru pouvoir éviter d’autre manière les objections qui se dressent de part et d’autre ; en effet, parmi ces objections,… les unes semblent prouver que la création a été tirée de quelque chose, les autres qu’elle a été faite de rien ; selon Rabbi Lévi, ces thèses sont, les unes et les autres, impossibles à soutenir ; il reste donc que la création ait été faite en partie de quelque chose et, en partie, de rien ; elle a été faite en partie de quelque chose, puisqu’elle a été tirée d’un Corps, et en partie de rien, puisque ce Corps était privé de toute forme ; de cette manière, selon cet auteur, se résolvent tous les doutes élevés contre chacune des deux opinions, ce que les Anciens n’ont pas vu ; à ce sujet, il se répand en interminables bavardages. »

Dans cette théorie, nous pouvons démêler des influences diverses.