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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

» Item. Si le Monde avait été engendré à partir du pur néant, le vide se fût rencontré, ce qui est absurde. Or. que le vide se fût alors rencontré, en voici la preuve : Considérons les dimensions dans lesquelles le Monde se trouve contenu ; avant que le Monde fût produit, il était possible qu’un corps s’y trouvât contenu ; or c’est cela même qui est l’essence du vide, car le vide est un lieu privé de corps, dans lequel il serait possible qu’un corps se trouvât.

» En outre, avant la création du Monde, il n’existait aucune nature douée de caractères qui lui fussent propres (natura appropriata) ; partant, le lieu où le Monde a été produit ne possédait pas une puissance qui lui appartînt en propre (possibilitas appropriata) à l’exclusion des autres lieux vides ; puis donc qu’en tous lieux le vide se comportait de même façon à l’égard de l’Agent créateur, nous demandons comment il se fait que le Monde se soit trouvé en tel lieu et non point en tel autre ; il aurait dû se trouver en tout lieu vide de tout corps ; dès lors, il existerait un corps actuellement infini, ce qui est absurde. »

Toutes ces objections, on le voit, supposent qu’on puisse, en l’absence de tout corps naturel, concevoir un corps doué des seuls attributs que considère la Géométrie ou, en d’autres termes, un espace ayant longueur, largeur et profondeur. Seule, l’objection suivante se réclame d’autres principes :

« Avant que le Monde ne fût produit, il était ou nécessaire ou impossible ou simplement possible. S’il était nécessaire, il n’a jamais manqué d’être. S’il eût été impossible, il n’eût jamais été effectué. Il fallait donc que son existence fût seulement possible : mais toute possibilité requiert un sujet [où cette possibilité se rencontre] ; avant donc que le Monde fût produit, il existait quelque sujet. »

Cette dernière objection se pourrait lire dans la Métaphysique d’Avicenne ou dans la Philosophie d’Al Gazâli ; à ces traités, elle emprunte la notion de la possibilité telle qu’elle la conçoit ; Moïse Maïmonide, d’ailleurs, l’avait textuellement formulée[1].

Après avoir argumenté contre les deux partis, quelle solution Lévi proposera-t-il de sa discussion. Cette solution, Calo Calonymos la résume en ces termes[2] :

« Dieu n’a pas créé le Monde à partir du pur néant, mais à partir d’une Matière éternelle qui ne possédait absolument aucune forme, qui était dépouillée de toute forme ; cette Matière ne conser-

  1. Vide supra, p. 189.
  2. Calo Calonymos, Op. laud., lib. I, proemium, fol. sign Aii, vo.