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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

tion, dans les substances composées, se fait à partir d’une forme préexistante contraire à celle qui est engendrée, ce caractère n’appartient pas à la génération considérée en elle-même (per se) ; il lui est accidentel ; dans une telle génération particulière, la matière requiert une préparation qui la dispose à recevoir la forme nouvelle ; la forme préexistante et contraire à cette forme nouvelle n’a d’autre objet que d’assurer cette préparation ; si donc la génération particulière requiert cette forme, c’est en tant qu’elle est particulière, ce n’est point en tant que génération ; à la génération universelle, on ne saurait attribuer le même caractère.

Contre la création du Monde, le Péripatétisme dresse cette objection : La Matière première n’a pu être engendrée, car toute génération suppose un sujet dans lequel elle est produite ; il faudrait donc que la Matière fut précédée d’un sujet, qu’il préexistât une matière de la Matière.

À cet argument, Léon de Bagnols eût pu répondre en recourant à la distinction qu’il a posée ; si toute génération particulière requiert la préexistence d’un sujet, c’est parce qu’elle est particulière, non parce qu’elle est génération. À cette réplique, il en préfère une autre qui vaut d’être remarquée ; dans son Exposition de la Paraphrase d’Averroès sur le premier livre des Physiques, il écrit[1] :

« À supposer que cette Matière première ait été engendrée de la façon qu’imagine Aristote, il n’y aurait nulle absurdité ; cette génération, en effet, pourrait avoir pour sujet un corps dénué de la disposition qui caractérise la Matière première ; car cette disposition n’appartient pas au corps en tant que corps ; le corps céleste ne possède pas la disposition à recevoir les formes naturelles, et il n’est pas de sa nature qu’il les reçoive ; la disposition à recevoir les formes naturelles appartient donc à tel corps, mais elle ne lui appartient pas en tant qu’il est corps ; ce qui appartient à un corps en tant que corps, c’est la similitude, c’est la figure, ce sont les autres caractères qui constituent les accidents universels du corps, et qui ne résident pas dans un corps en tant qu’il est tel corps. Cette disposition à recevoir les formes naturelles est donc une certaine différence qui est donnée en propre à tel corps ; partant, il est évident qu’elle y procède à la manière d’une forme et que, par cette disposition, la Matière des choses d’ici-bas est devenue ce qu’elle est, c’est-à-dire la Matière de toutes les choses qui possèdent des formes naturelles. Manifestement donc

  1. Calo Calonymos, Op. laud., lib. III, pars I, cap. III ; fol. sign. E, ro.