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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

sublunaire, des rapports et des relations qui confèrent, à ce monde, l’ordre et l’unité.

L’intelligence en puissance peut être définie[1] comme le pouvoir qui réside en nous de connaître l’ordre et la loi du monde sublunaire ; par cette connaissance, elle devient intelligence acquise. Comment[2] l’intelligence en puissance saisit-elle cet ordre du monde sublunaire ? Il semble que ce soit par l’intermédiaire de l’âme sensitive dont les perceptions lui font connaître les formes des choses d’ici-bas. Mais ces formes des choses d’ici-bas, de quelle nature sont-elles au sein de l’intelligence acquise ? Y sont-elles de nature matérielle comme dans les choses mêmes qui existent hors de nous ? Non point, mais de nature intelligible, tout comme les formes contenues dans l’intelligence active.

Si donc notre intelligence acquise connaît les formes des choses sublunaires, ce n’est pas qu’elle les tire de nos perceptions sensibles ; elle les reçoit directement de l’intelligence active. Lévi ben Gerson admet, sans doute, que les perceptions sont seulement l’occasion de l’opération par laquelle l’intelligence active imprime et met en acte, dans notre intelligence en puissance, les formes intelligibles qui résident éternellement en elle ; de notre connaissance du monde extérieur, il esquisse une explication bien voisine de celle que proposera Malebranche ; Dieu même jouera, au gré de Malebranche, le rôle que notre Rabbin fait jouer à l’Intelligence active.

Voilà donc comment la mise en acte de l’intelligenee en puissance est indépendante de nos perceptions, comment L’âme sensitive est condition nécessaire pour que l’intelligence en puissance puisse apparaître, mais non pour qu’elle puisse penser.

De ce que l’intelligence acquise fonctionne sans que la matière soit, ni directement, ni par l’intermédiaire de l’âme sensitive, condition de ce fonctionnement, Lévi en conclut que l’intelligence acquise est immatérielle.

Or une substance immatérielle est immortelle ; c’est de la forme, en effet, que provient toute existence et tout bien ; c’est la matière, et la matière seule qui est cause de destruction, lorsqu’elle cesse d’obéir à la forme, lorsque sa force passive surpasse la force active de la forme, immatérielle, donc, l’intelligence acquise est nécessairement immortelle.

Pour sauver l’immortalité individuelle de l’âme humaine, que

  1. M. Joël, Op. laud., p. 32.
  2. M. Joël, Op. laud., pp. 41-42.