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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

mouvement se transmet toujours d’une sphère à la sphère supérieure, de même chaque intelligence surpasse en noblesse celles qui meuvent des orbes plus éloignés du centre du Monde ; dans la hiérarchie des substances séparées, l’Intelligence active n’est donc plus celle qui occupe le dernier rang ; plus noble que toutes les autres, au contraire, elles les domine toutes ; elle ne trouve au-dessus d’elle que Dieu même. À cette Intelligence active, il rend la place sublime que lui attribuait la Théologie d’Aristote et d’où le Néoplatonisme arabe l’avait fait déchoir.

Pour connaître le nombre total des substances séparées, il faut, aux moteurs des cieux, joindre l’Intelligence active et Dieu ; selon qu’on aura, aux sphères célestes, préposé quarante-huit intelligences ou seulement huit intelligences, on comptera cinquante substances séparées ou seulement dix telles substances. Ainsi s’explique le rôle privilégié que la Bible attribue aux deux nombres dix et cinquante.

Le système du Monde que nous venons de décrire à grands traits vaut-il qu’on salue dans Lévi ben Gerson le seul génie digne de contempler l’Univers que Dieu ait créé au cours du xive siècle ?

Sans doute, ce système révèle un grand souci d’originalité. Le Rabbin de Bagnols, assurément, n’aime pas à suivre les idées reçues ; volontiers, il en prend le contrepied. Tous les astronomes de son temps se déclarent satisfaits de l’Astronomie de l’Almageste ; il accable de critiques le système de Ptolémée. Ses contemporains jugent inutile de justifier les hypothèses astronomiques par des raisons de Physique ; il tient cette justification pour indispensable. Les Physiciens enseignent d’un commun accord que tout orbe céleste est un solide invariable ; Lévi met un fluide entre les diverses parties du ciel. Les auteurs dont sa pensée semble s’inspirer ont tous fait descendre le mouvement de sphère en sphère ; il enseigne que le mouvement se propage en montant. Les métaphysiciens s’accordent à faire, de l’intelligence active la plus humble des substances séparées ; il en fait la plus noble après Dieu.

Toutes ces propositions trahissent l’amour de la nouveauté, le besoin de ne pas répéter ce qui se dit communément. Mais innovation n’est pas toujours amélioration ; et, dans tous ces changements, on ne voit guère de véritable progrès ; plusieurs d’entre eux pourraient être, à plus juste titre, tenus pour retours en arrière ; comparée aux doctrines que l’Université de Paris professait à la même époque, la Cosmologie de Lévi ben Gerson semble