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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

Quel usage Lévi fit-il de son instrument ? Il lui dut, si nous en croyons M. Carlebach, une découverte capitale. « Léon, dit-il[1], reconnaît et enseigne le premier que les apogées de toutes les planètes sont en mouvement, contrairement à l’affirmation de Proclus et de Ptolémée ; il démontre que les arguments de ces astronomes à l’égard d’un tel mouvement sont mal fondés : en comparant ses propres observations à celles des Anciens, il détermine la grandeur du mouvement annuel des apogées. Cette découverte est une preuve de l’heureux emploi que trouvait le bâton de Jacob dans la main de son inventeur. »

Qu’il est dangereux d’écrire sur l’œuvre d’un savant, quand on ne connaît rien de ce qu’ont fait ceux qui l’ont précédé ! Tout ce qu’on trouve dans les traités dont on s’occupe, on le prend pour invention nouvelle, alors même qu’il s’agit d’une vérité très anciennement et très communément reçue.

Il est bien vrai que Proclus refusait[2] de croire au déplacement îles apogées des planètes, comme il refusait de croire au déplacement des points équinoxiaux ; mais il faut bien peu connaître l’histoire de l’Astronomie pour prêter semblable opinion à Ptolémée ; au mouvement lent des étoiles fixes, celui-ci faisait participer les apogées de toutes les planètes[3] : l’apogée du Soleil était le seul qu’il tint pour immobile. Le premier qui ait enseigné le mouvement de l’apogée solaire, mouvement qu’il égalait à celui des apogées des autres planètes, ce n’est pas Lévi ben Gerson ; c’est Al Fergani[4]. Après Al Fergani, il n’est pas d’astronome arabe qui n’ait admis ce mouvement. Dès 1140, les Tables de Marseille apprenaient[5] à la Chrétienté latine d’Occident que les « auges d’Albaténi » ou apogées de tous les astres errants demeuraient invariablement liés aux étoiles fixes et suivaient celles-ci dans leur lent déplacement ; depuis ce temps, il n’était pas un recueil de tables, pas une théorie des planètes qui ne répétât cet enseignement : vraiment, il était singulièrement vieux et singulièrement commun au temps de Lévi ben Gerson qu’on lui voudrait donner pour inventeur.

En ce temps-là, les astronomes de Paris ne prononçaient plus guère le nom d’Alpétragius dont le système, définitivement condamné, commençait à sombrer dans l’oubli. Ce système, notre

  1. J. Carlebach, Op. laud., p. 41.
  2. Voir : Première partie, ch. XII, § III ; t. II, pp. 198-199.
  3. Voir : Première partie, ch. XII, § II ; t. II, pp. 188-189.
  4. Voir : Première partie, ch. XII, § IV ; t. II, pp. 206-207.
  5. Voir : Seconde partie, ch. III, § VI ; t. III, p. 212.