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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

nelles ; il dit[1] comme Galilée : Dicta antiquorum doctorum magis ad impedimentum quam ad juvamen fuerunt. S’il y a quelque chose de vrai dans cette idée que Dieu crée par siècle un contemplateur pour son œuvre, Léon de Bagnols fut, à son heure, ce contemplateur. Personne, à sa date, ne paraît avoir porté dans la Cosmographie mathématique autant de science spéciale et de sagacité. »

Voilà le jugement qu’il nous faut examiner, Lévi ben Gerson fut-il le génie isolé que Renan nous dépeint ? Fut-il, au contraire, homme de son temps et de son milieu ?

Le bâton de Jacob paraît être, pour Léon de Bagnols, un titre de gloire très légitime. Nous avouerons sans ambages que nous connaissons trop imparfaitement les instruments astronomiques employés au Moyen Âge pour être en état de marquer avec précision les avantages du bâton sur les diverses espèces d’astrolabes qu’on employait avant lui.

Un de ces avantages paraît dû à l’idée qu’eut notre astronome d’adapter une chambre obscure au bâton de Jacob ; à l’aide de cette chambre obscure, il pouvait[2] déterminer le diamètre apparent du Soleil et de la Lune ; il pouvait, dans les éclipses de Soleil et de Lune, mesurer, à chaque instant, la partie de l’astre qui demeurait visible.

M. Carlebach ne craint pas de célébrer cette idée de Léon de Bagnols comme « une découverte qui fait époque, die Leos epochemachende Entdeckung ». C’est en exagérer de beaucoup la nouveauté.

Nous avons vu[3] comment ; à la fin du xiiie siècle, les canons d’Astronomie adressés, probablement par Roger Bacon, à un certain Jean, recommandaient l’emploi de la chambre noire pour l’observation des éclipses ; l’observation de l’image permet de mesurer la portion de l’astre qui demeure visible. Nous avons entendu[4] Jean Peckbam, dans sa Perspectiva communis, faire allusion à cette observation des éclipses par le moyen de la chambre noire. Nous avons reproduit[5] le passage où Guillaume de Saint-Cloud, à son tour, prescrivait d’user de cette chambre pour suivre, sans fatigue pour la vue, la marche d’une éclipse de Soleil. Certainement, donc, au temps où Lévi ben Gerson composait le

  1. Lévi ben Gerson, Milchamot Adonai, livre V, ch. XCVIII. — E. Renan, Op. laud., p. 639.
  2. Joseph Carlebach, Op. laud., p. 31.
  3. Voir : Seconde partie, ch. VII, note ; t. III, p. 505.
  4. Loc. cit., p. 516.
  5. Voir : Seconde partie, ch. VIII, § II ; t. IV, pp. 17-18.