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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

Cette guerre fut déclarée par Abba Mari, fils de Moïse, fils de Joseph[1], habitait Montpellier lorsqu’on 1303, il écrivit[2] « à Salomon ben Addéreth, le rabbin le plus distingué de Barcelone, une lettre dans laquelle il se plaignait de l’abandon où tombaient les études talmudiques, de la préférence qu’on accordait aux études philosophiques et à l’interprétation allégorique de la Bible. »

Cette lettre fut le point de départ d’une longue correspondance entre Abba Mari et Salomon ben Addéreth, le signal d’une vive querelle entre rabbins voués à l’étude exclusive du Talmud et Juifs philosophes qui lisaient Maïmonide, Aristote et Averroès. Abba Mari, sur ses vieux jours, a soigneusement réuni toutes les pièces de ce débat ; elles ont été conservées, publiées en hébreu, et Ernest Renan les a résumées[3].

Cette correspondance nous fait connaître[4] les chefs d’hérésie que les rabbins talmudistes reprochaient aux Juifs averroïstes ; ces chefs d’hérésie, nous les trouverions tous au nombre des erreurs condamnées, en 1277, par Étienne Tempier et par les théologiens de Paris.

« Les opinions d’Aristote, le père des philosophes, écrit Abba Mari à Addéreth, impliquant la négation de la providence individuelle, l’attribution de la providence aux astres, l’éternité du Monde, et surtout ce théorème fondamental que tout se passe d’après les lois naturelles, sont des hérésies complètes, contraires à la Loi et aux paroles des prophètes…

» Maïmonide nous avertit de ne pas lire les commentaires sur Aristote qui prétendent prouver l’éternité du Monde. Or la plupart des volumes scientifiques que nous possédons sont les commentaires et les résumés d’Averroès, « et j’ai vu, au commencement de son Traité du Ciel et du Monde, qu’il donne des preuves pour l’éternité des corps célestes, preuves qui nous amèneraient à croire à l’éternité du Monde. »

Les docteurs chrétiens de Paris eussent souscrit aux condamnations portées par Abba Mari contre les enseignements hérétiques du Péripatétisme ; mais il ne s’en fût guère rencontré pour repousser, comme il le fait, toute étude de la Philosophie : « Le Talmud[5] permet l’étude des sciences à ceux qui ont des relations

  1. Ernest Renan, Op. laud., pp. 648-649.
  2. Ernest Renan, Op. laud., p, 651.
  3. Ernest Renan, Op. laud., pp. 654-695.
  4. Ernest Renan, Op. laud., pp. 680-681.
  5. Ernest Renan, Op. laud., pp. 681-682.