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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

tre-t-on fort peu de véritables Juifs qui ne soient pas devenus Sarrazins en quelque partie de leurs croyances, qui ne donnent pas leur consentement aux erreurs d’Aristote, parmi ceux que l’on trouve en la terre des Sarrasins et qui demeurent au milieu des philosophes. En outre, ils ont trouvé une grave occasion d’apostasier dans ce fait que beaucoup de préceptes de la loi semblent absurdes ou inutiles. Comme l’absurdité ou l’inutilité de ces préceptes est apparente, et qu’on ne voit aucune raison de ce qu’ils commandent ou défendent, aucune utilité dans leur observance, il ne faut pas s’étonner qu’on s’en éloigne et qu’on les rejette connue fardeaux superflus. »

Il ne serait pas étonnant que la connaissance du Guide des égarés eût provoqué, parmi les rabbins qui habitaient les côtes du golfe du Lion, une dangereuse ardeur pour l’étude de la philosophie païenne.

Le péril en lequel cette œuvre de Maïmonide avait peut-être mis l’orthodoxie juive ne put que devenir plus grave et plus pressant lorsque Jacob d’Antoli et, surtout, Moïse ben Samuel eurent traduit en hébreu les commentaires d’Averroès. Alors, les juiveries du midi de la France sentirent passer ce vent, de rationalisme et de doute qui avait secoué la Chrétienté latine lorsque Michel Scot avait apporté à l’École la traduction de ces mêmes livres. La foi juive, comme la foi chrétienne, eut à lutter contre l’Averroïsme ; et comme cette dernière doctrine prétendait ruiner des dogmes communs aux Juifs et aux Chrétiens, la défense, bien souvent, dut se porter aux mêmes points et combattre avec les mêmes armes.

Une première lutte[1] contre les doctrines de Maïmonide et contre les explications allégoriques par lesquelles il mettait les récits bibliques, celui du miracle de Josué, par exemple, d’accord avec la Physique d’Aristote, s’était déroulée, de 1231 à 1235, à Montpellier ; un des rabbins les plus considérables de cette ville, Salomon ben Abraham, convainquit plusieurs de ses confrères de la nécessité d’excommunier l’exégèse de Moïse ben Maimoun. Mais cette première escarmouche était comme oubliée lorsqu’en 1303, la guerre se ralluma. Les adversaires qui y prirent part évitèrent, autant qu’il leur fut possible, que leurs coups atteignissent leur illustre coreligionnaire Maïmonide ; ils les dirigèrent surtout contre Platon, contre Aristote et contre les commentateurs arabes de ce dernier.

  1. Ernest Renan, Op, laud., p. 649.