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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

perfection intellectuelle, à composer des ouvrages et à professer. « Il est dans la nature de cet Intellect actif de se communiquer perpétuellement et d’étendre successivement son épanchement d’un individu à un autre, jusqu’à ce qu’il arrive à un individu au-delà duquel son influence ne saurait se répandre, et qu’il ne fait que perfectionner personnellement. »

Il peut arriver, et il arrive ordinairement que l’émanation de l’Intelligence active ne se répande que sur l’âme rationnelle ; ainsi se forment « les savants qui se livrent à la spéculation. » Mais il peut arriver aussi qu’après avoir amené l’âme rationnelle à sa perfection, elle déborde en outre sur la faculté imaginative : elle produit alors un prophète[1]. « C’est sur la faculté rationnelle seulement que s’épanche directement l’intellect actif[2], qui la fait passer à l’acte, et c’est par la faculté rationnelle que l’épanchement arrive à la faculté imaginative. » « Sache donc[3] que la prophétie, en réalité, est une émanation de Bien, qui se répand, par l’intermédiaire de l’intellect actif, sur la faculté rationnelle d’abord, ensuite sur la faculté imaginative ; c’est le plus haut degré de l’homme et le terme de la perfection à laquelle son espèce peut atteindre. »

Rabbi Moïse se complaît à développer cette théorie du prophétisme, dû à l’épanchement que répand l’intelligence active à la fois sur l’âme rationnelle et sur la faculté imaginative, « comme nous l’avons exposé, et comme d’autres, parmi les philosophes, l’ont aussi exposé[4]. » Cette théorie, en effet, Maïmonide ne l’a pas créée ; ébauchée par Avicenne[5], elle se trouvait pleinement développée en la Philosophie d’Al Gazâli[6].

Devant nos veux se dresse l’ensemble du système philosophique que Maïmonide nous avait promis de construire ; nous pouvons maintenant le juger. « Pour qui une telle doctrine pût s’appeler Averroïsme, disait Renan, il n’y manque que le nom d’Averroès.» À cette étrange appréciation, nous opposerons celle-ci : À ce système, il ne manque que le nom de celui qui l’a produit, et ce nom, c’est : Avicenne.

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XXXVII ; éd. cit., t. II, pp. 290-291.
  2. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XXXVIII ; éd. cit., t. II, p. 298.
  3. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XXXVI ; éd. cit., t. II, p. 281.
  4. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XXXVII ; éd. cit., t. II, p. 291.
  5. Avicennæ Compendium de Anima, Venetiis, MDXLVI, cap. X.
  6. Philosophia Algazelis, lib. II, tract. V, cap. X.