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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

daient par ces mots ; elles ne sont nullement la δύναμις, la ὕλη, d’Aristote.

Si l’on imaginait qu’il fût possible d’interpréter ces axiomes dans un sens purement péripatéticien, on serait bientôt détrompé par l’usage qu’en fait Maïmonide. En effet, parmi des démonstrations[1] vraiment imitées d’Aristote, qui prouvent l’existence de Dieu premier moteur du Monde, il s’en rencontre une autre qui, selon la très juste remarque de Munk[2], porte la marque bien reconnaissable de la pensée d’Ibn Sinâ ; cette preuve, la voici[3] :

« On ne saurait douter qu’il n’y ait des choses qui existent, et ce sont ces êtres perçus par les sens… S’il y a des êtres qui naissent et périssent, comme nous le voyons, il faut qu’il y ait aussi un être quelconque qui ne naisse ni ne périsse. Dans cet être qui ne naît ni ne périt, il n’y aura absolument aucune possibilité de périr ; au contraire, il sera d’une existence nécessaire et non pas d’une existence possible.

» On a dit ensuite : L’être nécessaire ne peut être tel que par rapport à lui-même ou bien par rapport à sa cause : de sorte que. (dans ce dernier cas), il pourrait, par rapport à lui-même, exister ou ne pas exister, tandis qu’il sera nécessaire par rapport à sa cause, et que sa cause, par conséquent, sera le véritable être nécessaire, comme il a été dit dans la dix-neuvième (proposition). Il est donc démontré qu’il faut nécessairement qu’il existe un être dont l’existence soit nécessaire par rapport à lui-même, et que, sans lui, il n’existerait absolument rien…

» C’est là une démonstration qui n’admet ni doute ni réfutation ni contradiction, si ce n’est pour celui qui ignore la méthode démonstrative.

» Nous disons ensuite : L’existence de tout être nécessaire en lui-même doit nécessairement ne point avoir de cause, comme il a été dit dans la vingtième proposition ; il n’y aura en lui aucune multiplicité d’idées, comme il a été dit dans la vingt-et-unième proposition, d’où il s’ensuit qu’il ne sera ni un corps ni une force dans un corps, comme il a été dit dans la vingt-deuxième. Il est donc démontré, par cette spéculation, qu’il y a un être qui, par sa propre essence même, est d’une existence nécessaire, et c’est celui dont l’existence n’a point de cause, dans lequel il n’y a point de

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. I ; éd. cit., t. ii, pp. 29-44.
  2. Moïse Maïmonide, Op. laud., éd. cit., t. ii, pp. 38-39, note 1, et p. 40, note 2.
  3. Moïse Maïmonide, Op. laud., éd. cit., t. ii, pp. 38-42.